Au nom de la sécurité alimentaire

Le spectre de la crise alimentaire est utilisée aussi bien par les tenants d’une libéralisation des marchés agricoles que par les tenants du maintien de la PAC.

Michel Soudais  • 26 juin 2008 abonné·es

Le hasard du calendrier fait parfois bien les choses. À mi-chemin entre deux réformes de la PAC, l’Union européenne doit procéder cette année à un «bilan d’étape» susceptible de réorienter la réforme de 2003 dès l’an prochain, avant la définition d’un nouveau cadre budgétaire et d’une nouvelle politique en 2013. Pour Nicolas Sarkozy, qui annonçait lors de la campagne présidentielle son intention de «rouvrir le dossier» de la PAC «avec l’objectif de garantir l’indépendance alimentaire de l’Europe […] mais aussi la sécurité sanitaire, le respect de l’environnement et un revenu décent pour les agriculteurs», le moment est opportun. Le gouvernement ne cache d’ailleurs pas son intention de profiter de la présidence française pour amorcer, dès 2009, une réorientation de la PAC, anticiper le débat sur la PAC de l’après-2013, et de retrouver un rôle majeur dans l’orientation des politiques communautaires. Pour le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, ce serait même «le point clé» de la présidence française. Le débat risque toutefois d’être conflictuel.

La Commission européenne a dévoilé le 20 mai un projet de règlement qui propose de mettre un terme définitif au système des jachères et aux subventions aux agrocarburants. Elle envisage un relèvement de 1~% par an pendant cinq ans des quotas laitiers avant leur disparition définitive programmée en 2015. Elle entend déconnecter totalement le montant des subventions versées aux agriculteurs des quantités produites (le «couplage» en jargon bruxellois) pour verser partout des subventions sur une base forfaitaire, liée par exemple à la taille des surfaces agricoles. Dans un budget inchangé, la Commission veut consacrer davantage de fonds au développement rural et à la protection de l’environnement. Enfin, elle entend supprimer ou réformer les mécanismes utilisés par les pouvoirs publics dans l’UE pour garantir aux exploitants un niveau minimum de prix pour de nombreux produits (les fameuses «interventions»), le blé, le riz, la viande de porc ou le beurre, par exemple.

Inacceptable, estiment l’ensemble des syndicats agricoles. Tandis que la FNSEA dénonce «l’abandon de tout mécanisme de régulation des marchés», la Confédération paysanne accuse la Commission «d’organiser la disparition de l’élevage, des fruits et légumes et d’une partie de la viticulture», et le Modef de répondre au souhait des gouvernements qui «veulent se délester de l’agriculture européenne et de ses paysans, secteur non rentable dans l’économie libre». En tête de ceux-ci, figure le gouvernement britannique, tenté de considérer que la crise alimentaire devrait être l’occasion de réformer l’agriculture en libéralisant les marchés.

C’est aussi la crise alimentaire qu’invoque Nicolas Sarkozy pour défendre le maintien d’une politique agricole commune. Au dernier sommet européen, le chef de l’État a aussi accusé implicitement le très libéral commissaire européen au Commerce d’avoir contribué au «non» irlandais par sa détermination à mener à terme les négociations à l’OMC, qui font craindre aux agriculteurs irlandais des baisses de subventions européennes. Selon lui, Peter Mandelson était «le seul» à penser qu’il fallait continuer à négocier un accord alors que «nous n’avons obtenu rien sur les services, rien sur l’industrie […] et qui conduirait à une baisse de 20~% de la production agricole, dans un monde où il y a 800~millions de personnes qui meurent» de faim.

Pour résoudre la crise alimentaire, «la clé n’est pas d’abord d’exporter mais de produire. Si les échanges avaient supprimé la faim dans le monde, ça se saurait», abonde Michel Barnier, qui, sans créer des «barrières indues», souligne la nécessité de «vérifier la qualité des produits qui arrivent».

Société
Temps de lecture : 3 minutes