Folle histoire

À l’occasion de la Gay Pride parisienne*,
un panorama de l’homosexualité à travers
les époques et sous diverses latitudes.

Olivier Doubre  • 26 juin 2008 abonné·es

À la veille de la Gay Pride, où sont attendues plus d’un demi-million de personnes, plusieurs ouvrages viennent nous rappeler que de nombreuses sociétés à travers le monde ont été ou demeurent extrêmement intolérantes vis-à-vis des amours entre personnes de même sexe.

Tout d’abord, l’enquête de Brian Whitaker [Parias. Gays et lesbiennes dans le monde arabe, Brian Whitaker, traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, Demopolis, 238~p., 21~euros]], menée avec toute la rigueur du journalisme anglo-saxon, fait découvrir au lecteur occidental les existences pétries de douleur des gays et des lesbiennes dans le monde arabe, violemment rejetés comme des «parias». Correspondant du Gardian au Caire, le journaliste britannique arriva dans cette ville au moment de l’affaire du Queen Boat, cette boîte de nuit fréquentée par des gays, dont une cinquantaine venait d’être arrêtés par la police, traînés devant les tribunaux et qui, pour la plupart, virent leur vie brisée. Choqué par cette affaire qui «fut l’une des rares occasions, au cours des dernières années, où les médias arabes attirèrent l’attention sur la question de l’homosexualité», l’auteur décida de partir à la rencontre des gays et des lesbiennes de cette partie du monde. Très documenté, l’ouvrage dresse, à partir de nombreux entretiens, le tableau dramatique de la situation de ces hommes et de ces femmes, souvent battus par des membres de leur famille, soumis au chantage, victimes de constantes discriminations que jamais la justice ne sanctionne.

Édités chez l’éditeur lacanien Epel, deux autres livres viennent quant à eux rappeler qu’il n’y a pas si longtemps l’Europe, en particulier méditerranéenne, connaissait des situations analogues. Écrit en 1955 sous la dictature franquiste, un petit texte de l’Espagnol Juan Gil-Albert [^2], nourri de références au Corydon de Gide et de mythes de la Grèce antique, dépeint avec courage l’homosexuel en «homme libre», alors même que le régime multiplie les lois répressives et réserve deux prisons aux homosexuels masculins. Impubliable à l’époque, il ne paraîtra que vingt ans plus tard, à la mort de Franco. Bien que comportant quelques passages à la misogynie affirmée, ce document original dans l’Espagne autoritaire, machiste et nataliste des années~1950 mêle élan poétique, analyse de la solitude des homosexuels et contestation de l’ordre hétérosexuel.

Dans la même collection, paraît aussi un livre considéré comme précurseur en Italie et dont l’auteur fut souvent comparé à Guy Hocquenghem de l’autre côté des Alpes. Tirés de sa thèse soutenue à Milan au milieu des années~1970, sans doute l’une des premières sur le sujet dans une Italie dominée par la démocratie-chrétienne, ces Éléments de critique homosexuelle, de Mario Mieli [^3], proposent, dans le style vif et très militant de l’époque, un retour historique et philosophique sur la question gay, affirmant la conviction du caractère contestataire de l’homosexualité dans la «société capitaliste hétérosexiste» . Figure importante en Italie, décédé en 1983, Mario Mieli a donné son nom au Centre gay et lesbien de Rome, saccagé il y a quelques semaines par des néofascistes, juste après la réélection de Berlusconi.

Enfin, signalons une recherche novatrice dans le champ des études gaies et lesbiennes françaises : Folles de France, repenser l’homosexualité masculine. Son auteur, Jean-Yves Le Talec [^4], retrace en effet l’histoire des «folles» au sein du mouvement gay, ces personnages efféminés et excentriques trop souvent rangés au rang des accessoires d’une «homosexualité prétendument “sérieuse”» . Ce livre, à la fois ouvrage d’histoire et de sociologie, montre avec brio combien cette figure importante de la culture gay se situe bien «au centre de l’histoire des représentations des gays», alors qu’elle brille par son absence dans les ouvrages français sur l’homosexualité. Or, du zazou sous l’Occupation au groupe des Gazolines du Front homosexuel d’action révolutionnaire jusqu’à la «pom-pom girl» d’Act Up-Paris, les folles, «frappées du double stigmate de l’homosexualité et de l’efféminement», mettent «en pratique une forme de lien et de langage social, de résistance culturelle et de stratégie politique». Jean-Yves Le Talec leur rend un hommage mérité, aussi appuyé qu’émouvant.

[^2]: Le Style homosexuel. En Espagne sous Franco, Juan Gil-Albert, traduit de l’espagnol par Annick Allaigre, Epel, 166~p., 19~euros.

[^3]: Traduit de l’italien par Massimo Prearo, Epel, 358~p., 24~euros.

[^4]: Préface de Michel Bozon, La Découverte, 336~p., 22~euros.

Idées
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