Livre en relief

Jouant toujours de la typographie, Fred Léal propose un texte vif et drôle, d’une impertinence frondeuse. Ce qui n’exclut pas un certain tragique.

Christophe Kantcheff  • 17 juillet 2008 abonné·es

Fred Léal n’a toujours pas domestiqué son écriture, et c’est très bien comme cela. Dans la Porte ’verte , comme par exemple dans Let’s let’s go ou le Peigne rose [^2], les phrases s’éclatent sur la page. « S’éclatent » à tous les sens du terme. D’abord parce qu’elles forment une farandole typographique sans cesse renouvelée de romains, d’italiques, de gras et de corps (la taille des caractères), parmi lesquels se faufilent, au besoin, quelques croquis. Cette disposition est bien sûr le fait d’une organisation : c’est comme si chaque page portait les différentes pistes de la bande-son du livre, et que celles-ci se mêlaient, comme dans un film ou comme dans la vie même, tout en gardant au premier plan une voix, en l’occurrence celle des deux personnages de la Porte ’verte, Pauline et Fred. Effet de réel garanti – le son du livre est pour ainsi dire en relief – mais le récit (cela dit pour qui serait a priori effarouché par cette mise en page) reste toujours compréhensible.
Le lecteur, une fois dedans, a d’autant moins envie d’en sortir que Fred Léal insuffle à son texte une vivacité et une drôlerie qui font penser parfois à certaines BD (pour adultes, parce que le sexe est toujours dans les parages) et une impertinence frondeuse qui bouscule l’esprit de sérieux trop souvent associé à la littérature.

Mais que racontent donc Pauline et Fred, deux jeunes gens qui partagent un appartement sans partager leurs vies, même si le second aimerait entrer dans le lit de la première ? Ils se confient chacun un événement qui a eu une importance certaine sur le cours de leur existence. Pauline décrit son séjour dans un hôpital psychiatrique, auquel elle a été soumise, sur la décision de sa mère, après la mort accidentelle de son frère. Fred relate comment, une nuit, il a été sous la menace de braqueurs incongrus, alors qu’il était surveillant d’un internat de handicapés mentaux pour payer ses études de médecine, et que la police, de victime, l’a transformé en complice.
Chez Léal, la légèreté du ton est aussi une élégance. Bien entendu, par la voix de Pauline et Fred, il donne à voir les personnages, pour certains hauts en couleurs, qui peuplent l’hôpital psychiatrique, et déroule dans toute sa tragicomédie le vol de nuit improbable signé par des pieds nickelés, après avoir montré ce que Fred avait découvert de richesses et d’intelligence chez les pensionnaires, vus comme des « gogols » à l’extérieur. Mais au cœur de la Porte ’verte , on trouve la violence institutionnelle, et sa complice, la violence familiale. Celle qui enferme des personnes, alors que, « pour un grand nombre » d’entre elles, « le diagnostic flottait. Il manquait (en partie) » . Ou qui a le pouvoir de retourner arbitrairement une situation, assujettissant un individu dont le profil sociologique ne plaît pas (le commissaire semble s’acharner contre Fred car il est un étudiant en médecine « issu du milieu ouvrier ») .
Pauline et Fred finissent par se rapprocher coquinement dans le refus des forces contraignantes. Et la Porte ’verte , dont le titre n’est pas usurpé, fait sauter bien des verrous.

[^2]: Respectivement chez POL en 2005 et aux éditions de l’Attente en 2007 (cf. Politis n° 857 et 960).

Culture
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