Quelle rationalité ?

Pierre Rabhi  • 28 août 2008 abonné·es

Jamais la rationalité n’a été à ce point bafouée par une modernité qui prétend en avoir le magistère absolu. À coup de positivisme et de réalisme, la civilisation de la combustion énergétique et de la prépondérance de la finance sur le destin collectif s’est donnée comme mission de libérer les humains des superstitions qui les auraient toujours maintenus captifs. Hélas, on est bien obligé de constater que l’obscurantisme n’a fait que se travestir d’une certaine science et de rationalité selon les critères de la déraison et du lucre. Et pour avoir fondé l’évolution sur le combustible, nous voici aujourd’hui pris dans un traquenard sans précédent. Tandis que l’on est préoccupé par la cherté du pétrole pour cause d’insuffisance, c’est à une crise alimentaire mondiale d’une gravité croissante que nous allons être confrontés. Et on ne peut qu’être consterné d’entendre des « experts » proclamer que la solution se trouverait dans l’intensification de l’usage des engrais chimiques, alors qu’il faut trois tonnes de pétrole pour la fabrication d’une tonne d’engrais.

Les mêmes proclament que les organismes génétiquement modifiés et brevetés sauveront l’humanité de la famine. Quand on sait qu’ils ne sont accessibles qu’avec monnaie sonnante et trébuchante, ce dont le tiers-monde est le plus démuni, qu’ils ne sont pas reproductibles et sont suspects de nuisances graves sur la santé et la nature, les bras nous en tombent. Pendant ce temps, les semences traditionnelles reproductibles et transmissibles, et donc garantes de l’autonomie des populations, disparaissent à jamais. Comment ne pas comprendre que produire et consommer localement avec des ressources pérennes est la seule voie intelligente ? Et que tout système qui crée de la dépendance asservit par définition ?
En ce qui me concerne, en tant qu’expert de l’alternative écologique, j’ai depuis 45 ans, au Nord comme au Sud, au sein de divers organismes, mis à l’épreuve de la réalité la plus objective et la plus rationnelle la puissance libératrice de l’agroécologie. Celle-ci préconise les techniques maîtrisables par le paysan le plus démuni – alors qu’elle est perçue comme le moyen de produire une alimentation de luxe pour les riches : les préjugés ont la vie dure. L’agroécologie recommande la fertilisation des sols avec les déchets organiques, la gestion rationnelle de l’eau, l’amélioration et la protection des sols, le reboisement des terres, la sauvegarde du patrimoine génétique végétal et animal, la lutte contre les maladies des végétaux avec des substances naturelles. Nous avons appliqué et mis à l’épreuve des faits la voie agroécologique depuis des décennies, créé des structures dédiées à cette approche.
N’en déplaise aux experts ignorants, l’agroécologie est la seule alternative capable, si elle était soutenue par les États, de sortir des pénuries et des famines, par l’autonomie alimentaire des populations.

Écologie
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