Crise financière : la fin des mythes néolibéraux

Dominique Plihon est membre
du conseil scientifique d’Attac.
Il analyse les ressorts de la crise actuelle et montre comment les politiques française et européenne tendent à aggraver ses effets.

Dominique Plihon  • 25 septembre 2008 abonné·es

Au début de la crise financière, à l’été 2007, nos élites minimisaient la portée de celle-ci. Christine Lagarde, ministre de l’Économie, parlait alors d’un simple « trou d’air » . Traduisez : les marchés vont ­s’ajuster sans difficulté. Un an plus tard, c’est la panique, le ton a changé. Les milieux d’affaires, dont Christine Lagarde est issue, applaudissent aux interventions publiques massives. Celles des États et des banques centrales qui vont au secours des banques et des investisseurs en déconfiture. C’est la fin d’un premier mythe cher aux néolibéraux et que l’on retrouve dans tous les bons manuels d’économie : celui des marchés autorégulés qui seraient capables de retrouver l’équilibre par eux-mêmes.

Illustration - Crise financière : la fin des mythes néolibéraux


Un simple « trou d’air », la crise financière ? Pas sûr ! lohnes/AFP

Face à la débâcle des marchés financiers, nos dirigeants tentent de nous convaincre que la crise financière, dont ils ont dû ­admettre la gravité, n’aura pas d’effets importants sur nos conditions de vie, nos salaires, nos emplois. C’est là un deuxième mythe de la doxa néolibérale : celui de la déconnexion entre la sphère financière et la sphère réelle de nos économies. La finance serait neutre, la spéculation et l’instabilité des marchés n’affecteraient pas la production et la distribution des richesses produites. D’où les discours rassurants des économistes et des politiques proches des milieux financiers. Pas de chance ! La crise en cours montre au contraire que, loin d’être neutre, la finance étouffe l’activité et détruit les richesses. C’est ainsi, nous sommes entrés dans la deuxième phase de la crise : la crise financière initiée en 2007 (phase 1) se traduit désormais par un fort ralentissement de l’activité (phase 2) à partir de 2008. Après les États-Unis, l’Europe est au bord de la récession (- 0,3 % pour le PIB français au second trimestre 2008, – 0,5 % en Allemagne, et – 0,2 % pour la zone euro). L’emploi et le pouvoir d’achat des ménages seront à ­l’évidence durement touchés.

Les mécanismes par lesquels la crise financière dégrade la conjoncture économique sont bien connus. C’est d’abord la perte de confiance. La crise financière crée en effet un climat de défiance et d’incertitude qui a un impact direct sur l’activité économique. Les ménages augmentent leur épargne de précaution et diminuent leur consommation, qui représente de 60 % à 70 % du PIB selon les pays. Face à la baisse de la demande, les entreprises réduisent leurs projets d’embauche et d’investissement.
Le comportement des banques joue un rôle d’amplification de la crise. Ayant accumulé d’importantes pertes avec la crise des subprimes (estimées à plus de 20 milliards d’euros en France), les banques sont fragilisées et réduisent leur activité ; elles augmentent leurs taux d’intérêt et rationnent le crédit. En France, le pourcentage de rejet des dossiers de crédits est monté jusqu’à 50 %. Ce durcissement des conditions, qui ne fait que commencer, met en difficulté les entreprises, dont les défaillances ont augmenté de 15 % au premier semestre 2008.
Autre mécanisme : la contagion internationale vient aggraver les répercussions de la crise. En Europe, la forte ouverture extérieure des pays membres de l’Union rend ces derniers très dépendants de la conjoncture des autres pays. C’est ainsi que les exportations françaises, moteur important de la croissance, souffrent du ralentissement des principaux parte­naires, l’Allemagne en premier. Par ailleurs, la forte appréciation de l’euro (+ 40 % par rapport au dollar depuis 2001) a considérablement dégradé la compétitivité des entreprises en rendant plus coûteuses leurs exportations hors de la zone euro. Cette hausse de l’euro provoque une baisse de la croissance du PIB, comprise entre
– 0,6 % et – 1 %, selon les « experts ».

La France aurait dû être beaucoup moins touchée par la crise financière que les États-Unis ou la Grande-Bretagne dans la mesure où l’endettement des ménages et les crédits hypothécaires, qui ont été à l’origine de la crise, y sont beaucoup moins développés. Ce ne sera pas le cas car les politiques menées par le tandem Sarkozy-Fillon ­tendent à aggraver les effets de la crise. De fait, l’actuel gouvernement pratique une dangereuse politique de déflation salariale, avec la remise en cause des 35 heures et la réduction du montant des prestations so­ciales. Par ailleurs, avec le « paquet fiscal » en faveur des classes les plus riches, le gouvernement a perdu de précieuses marges de manœuvre pour lutter contre la récession par l’arme des finances publiques.
Circonstances aggravantes pour les pays européens : le conseil Ecofin, qui réunit les ministres de l’Économie et des Finances, vient de décider, sous la présidence de Christine Lagarde (présidence française de l’Union européenne oblige !), qu’il n’y aurait aucune stratégie européenne commune pour lutter contre les effets dépressifs de la crise. Une fois de plus, l’Europe choisit le laisser-faire et montre son impuissance.

Et la Banque centrale européenne d’en rajouter une couche en pratiquant une politique de hausse des taux d’intérêt, destinée à ­lutter en priorité contre l’inflation, qui contribue à la hausse de l’euro. La responsabilité politique des banques centrales est engagée dans cette crise. La bulle immobilière aux États-Unis est le résultat de la politique monétaire laxiste d’Alan Greenspan, président de la FED de 1987 à 2006. Et l’on voit aujourd’hui les banques centrales voler au secours des spéculateurs, et participer à la nationalisation des banques, assureurs et autres institutions financières en déroute. N’est-ce pas la remise en cause d’un troisième mythe néolibéral, celui de l’indépendance nécessaire des banques ­centrales, fondé sur le postulat que la monnaie et la finance seraient apolitiques ?

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