L’héritière d’Ariel Sharon

Premier ministre en quête de gouvernement, Tzipi Livni, apparaît aujourd’hui comme une centriste, mais elle n’a pas renoncé à la politique colonisatrice du fait accompli.

Denis Sieffert  • 25 septembre 2008 abonné·es

Ainsi va Israël : Tzipi Livni, qui, voici quelques années, aurait figuré très à droite sur l’échiquier politique de son pays, est aujourd’hui classée au centre. « Une colombe » , dit-on même. En réalité, la femme qui doit succéder ces jours-ci à Ehud Olmert au poste de Premier ministre est une héritière politique d’Ariel Sharon. Elle a suivi dans l’opinion israélienne et internationale la courbe de l’ancien Premier ministre. Elle bénéficie de l’intelligence politique de celui-ci. Elle fut la première et la plus en vue des soutiens de Sharon quand le vieux général a accompli les deux actes qui ont transformé son image : le désengagement israélien de Gaza, en août 2005, et sa sortie du Likoud, le parti traditionnel de la droite sioniste, quelques mois plus tard. Tzipi Livni a immédiatement rallié Ariel Sharon lorsque, en novembre 2005, il a créé son nouveau parti, Kadima (« En avant »). Ce mouvement réputé centriste dont elle a conquis la présidence de haute lutte le 17 septembre face à son rival, le général Shaul Mofaz.

En vérité, nous savons maintenant que l’opération de retrait des huit mille colons de Gaza, loin d’annoncer une décolonisation générale des Territoires palestiniens, visait surtout, selon l’expression même d’un conseiller de Sharon, à mettre le plan de paix « dans du formol » . L’habileté manœuvrière de l’ancien Premier ministre a consisté à rendre ingouvernable cette bande de territoire qu’Israël a préalablement pris soin d’isoler économiquement. À Gaza, la prise du pouvoir par le Hamas, en juin 2007, a en quelque sorte consacré la stratégie de Sharon. Gaza sert aujourd’hui de repoussoir dans les négociations internationales, et le mouvement islamiste est présenté comme le principal obstacle à la paix. Comme l’était naguère Yasser Arafat. Tzipi Livni ne s’y est pas trompée : elle prolonge la manœuvre de Sharon en tenant un discours en apparence conciliant pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, mais en diabolisant le Hamas.

Sur le fond, Tzipi Livni reste sans aucun doute un pur produit de la droite dure. Elle a d’ailleurs été à bonne école. Son père, Eitan Livni, d’origine polonaise, fut directeur des « opérations » de l’Irgoun, le groupe ultranationaliste de Menahem Begin. C’est lui qui organisa, en juillet 1946, l’attentat contre l’hôtel King David de Jérusalem, siège de l’état-major britannique dans la Palestine mandataire. Un attentat qui fit près de cent morts.
Est-ce cette ascendance qui conduit Tzipi Livni à être plus rigoureuse que la plupart des dirigeants israéliens quand il s’agit de définir le terrorisme ? Elle s’est en tout cas singularisée en affirmant dans la presse qu’une attaque palestinienne contre des soldats israéliens ne « correspondait pas à la définition du terrorisme » . D’une certaine façon, elle plaidait aussi sa propre cause, puisque l’on sait aujourd’hui que cette femme de 50 ans fut, avant d’entrer en politique, un agent du Mossad, les services secrets israéliens, membre d’une unité tout particulièrement chargée d’assassiner les « terroristes palestiniens ». La relativité du concept lui est donc familière. Mais c’est évidemment comme ministre des Affaires étrangères que, depuis mai 2006, Tzipi Livni a acquis une certaine popularité, due en grande partie à sa réputation d’intégrité. Une qualité rare dans la classe politique israélienne, comme la chute d’Ehud Olmert vient une nouvelle fois de le rappeler.

Aujourd’hui promue aux plus hautes responsabilités, Tzipi Livni s’inscrira sans aucun doute dans la continuité d’Ariel Sharon. Sa stratégie : gagner du temps pour poursuivre la colonisation – n’a-t-elle pas récemment affirmé devant Condoleezza Rice que « l’activité de colonisation ne mettait pas en péril le plan de paix » ? – tout en ayant conscience qu’il faudra bien céder quelque chose un jour. Le plus tard sera le mieux, surtout si la politique du fait accompli ruine par avance toute chance de véritable négociation. En attendant, Tzipi Livni aura déjà fort à faire ces jours-ci pour reformer une coalition avec les Travaillistes, le parti ultraorthodoxe Shass et l’extrême droite russophone, Israël Beitenou. Entre autres. En cas d’échec, on irait à des élections anticipées au début de 2009, et vers une probable victoire de son ancien parti, le Likoud de Benyamin Netanyahou. Elle dispose de 42 jours pour réussir. Quant aux Palestiniens, dans tous les cas, ils n’ont guère à espérer de cette agitation politique.

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