« Moins de service public et moins de démocratie »

La mise en place des futures agences régionales de santé fait craindre aux syndicats une mainmise de l’État sur le système de soins, prélude à sa privatisation.

Pauline Graulle  • 25 septembre 2008 abonné·es

À quoi ressembleront les nouvelles agences régionales de santé (ARS), qui devraient voir le jour en 2010 ? La volonté affichée par la ministre de la Santé est de mettre en place une meilleure répartition de l’offre de soin sur le territoire en renforçant le pouvoir de l’État dans ces futures agences. Mais, au vu des émois provoqués par cette mesure phare du projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoires », le texte devrait encore évoluer. Roselyne Bachelot a ainsi tenté, la semaine dernière, de rassurer la Confédération des syndicats médicaux français, pour qui la création des ARS signe la fin de la liberté d’installation des médecins libéraux. Quant aux partisans d’un système de santé de service public, ils y voient le bras armé d’un gouvernement bien décidé à prendre le contrôle du système de Sécurité sociale dans une double optique : faire la part belle aux assureurs privés ainsi qu’aux établissements privés de santé. « C’est une reprise en main très autoritaire du système de soin par l’État. Et cela n’a rien à voir avec le maintien du service public », explique Nadine Prigent, de la CGT Santé.

Le projet de loi, déjà remanié plusieurs fois, indique que les agences devront organiser la coopération entre les soins de ville (médecine libérale) et le parc hospitalier. Elles prendront également des décisions dans les domaines de la santé publique et du secteur médico-social. « On a vu comment les agences régionales hospitalières, les ancêtres des ARS, ont permis de laisser le champ libre aux établissements de soins privés ! » , constate Bernard Teper, coordinateur du Collectif national contre les franchises. Chaque établissement de santé, hôpital public, clinique privée, et tout autre établissement participant au service public hospitalier sans but lucratif, comme les hôpitaux de la Croix-Rouge, se verra ainsi obligé de passer un contrat avec l’agence régionale de santé. L’agence pourra, par exemple, choisir de transformer une petite maternité de proximité en centre pour personnes âgées.
« Les ARS permettront surtout de fermer un hôpital ou de refuser un projet de santé si cela coûte trop cher ! » , estime Fabienne Binot, secrétaire générale du syndicat SUD-Santé Sociaux. Rien n’empêchera le gouvernement d’imposer la fusion entre établissements publics et privés via la création des communautés hospitalières de territoire. Et d’assouplir le statut de l’hôpital public grâce aux groupements de coopération sanitaire qui simplifieront le recours aux partenariats public-privé. Par exemple, en généralisant l’externalisation des services de blanchisserie des hôpitaux, ou en autorisant les hôpitaux à échapper au code des marchés publics dans leur politique d’achat. Le directeur d’une agence régionale aura sous sa coupe les « patrons » des hôpitaux tout comme leur budget. « L’hôpital deviendra une filiale de la “holding ARS” » , résume le sociologue Frédéric Pierru, qui note au passage le paradoxe consistant à faire de l’hôpital une « entreprise » pour au final l’« étatiser » par le biais de ces antennes.

En l’état actuel du texte soumis au Conseil d’État le 18 septembre, les agences régionales de santé seront en effet dirigées par une sorte de « préfet sanitaire » nommé en Conseil des ministres, qui appliquera la politique arrêtée au ministère. Contrairement aux actuels organismes de Sécurité sociale, les partenaires sociaux n’y seront pas représentés. Les élus locaux n’auront, eux non plus, pas leur mot à dire. Qu’il est loin le temps où, lors de sa création en 1945, la Sécurité sociale était gérée par les représentants élus des assurés sociaux !
Les ARS regrouperont les services des caisses régionales d’assurance-maladie, ainsi que les directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales. Les organismes locaux de Sécurité sociale, autrement dit ce qui concerne le remboursement des soins, seront sous la tutelle d’agences qui pourront, sur ordre ministériel, durcir le classement de la gestion du risque pour réduire les dépenses de la Sécu, accroître la part des dépenses prises en charge par les mutuelles et les assurances privées, et donc la part restant à la charge des patients. « Les ARS, c’est moins de service public et moins de démocratie dans la gestion », déplore la CGT. Tout un programme !

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