Pour le débat, voyez à droite…

Denis Sieffert  • 11 septembre 2008 abonné·es

Il y aurait bien de l’exagération à parler de crise politique. Nous n’en sommes pas là. Mais c’est un fait, la droite parlementaire grogne. Ses états d’âme s’étalent au grand jour. Les petits soldats de plomb du sarkozysme s’animent. Ils s’agitent même. Et, d’une certaine façon, cette agitation devrait faire honte aux socialistes. Car elle est politique. Le tentaculaire État policier, intrusif et omniscient, qui se cache derrière le doux nom d’Edvige, inquiète quelques libéraux bon teint qui, du coup, sont plus audibles que la gauche (voir Politis n° 1016). Mais c’est un autre sujet qui secoue la droite : il s’agit de l’impôt. C’est-à-dire la question politique par excellence. « Chaque jour que Dieu nous offre nous vaut la promesse d’une nouvelle taxe » , maugréait récemment Alain Lambert, ancien ministre délégué au Budget, l’un des chefs de file de la fronde. Et, il faut bien le dire, lui et ses amis ont la cohérence de leur côté. C’est la cohérence ultralibérale qui est aussi la fidélité aux engagements pris par Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle : moins d’impôts, toujours moins d’impôts. Or, le gouvernement et le président de la République font aujourd’hui exactement le contraire. Mais leur politique fiscale n’est pas pour autant antilibérale. Leur soudaine frénésie de taxes ne ressemble en rien à ce que pourrait être une politique de l’impôt juste. C’est l’impôt de celui qui déteste l’impôt.

C’est la panique qui saisit celui qui constate l’échec de son idéologie et qui ne peut ni continuer d’en suivre les préceptes, ni se résoudre à en reconnaître l’absurdité. Après la taxe destinée à financer le revenu de solidarité active, et celle qui s’applique aux opérateurs de téléphonie, voici la taxe sur les assurances et les mutuelles. En attendant la taxation des revenus publicitaires des chaînes privées de télévision. Et on pourrait en citer encore une bonne dizaine comme ça. Autant de rustines destinées à colmater des brèches créées ici et là par le même gouvernement. Impossible pourtant d’apercevoir dans ce maquis une cohérence autre que le seul impératif de remplir les caisses de l’État. Alors que les élus de droite qui mènent la fronde sont des libéraux conséquents, Nicolas Sarkozy est, lui, un libéral pris au piège de son propre discours. Il n’est pas seul au monde dans cette situation. Son ami George W. Bush est lui aussi confronté aux effets de son idéologie. Le voilà contraint à nationaliser les deux géants du refinancement du crédit immobilier. Les spécialistes parlent de deux cents milliards de dollars. Certes, c’est une figure classique d’un certain libéralisme : privatiser les profits et nationaliser les pertes. Mais c’est aussi une preuve par l’absurde de la faillite de l’ultralibéralisme. Face à cela, une gauche antilibérale, sociale et écologiste devrait pouvoir se faire entendre. Son impôt ne serait pas une succession de taxes empiriquement décidées opposant les catégories les unes aux autres. Il réhabiliterait l’idée d’une contribution à l’œuvre collective. Il « ferait » société, comme disent les sociologues. En pénalisant les comportements antisociaux – les pollueurs, par exemple –, il orienterait les modes de vie. Un impôt sur le revenu entièrement progressif, et qui n’oublierait aucun revenu, serait un formidable instrument de répartition des richesses. Tout comme évidemment une taxation internationale sur les transactions financières. Ici, nous n’inventons rien.

Les économistes d’Attac – ceux qui s’expriment dans Politis –, la Fondation Copernic et d’autres ont élaboré dans ce domaine des projets qui ne demandent plus qu’à être connus du public. Mais comment et quand ? Ce sera sans doute l’un des sujets que devront débattre les signataires de l’Appel de Politis le 11 octobre à Gennevilliers. Car nous sommes tout de même dans une situation incroyable : le débat public est monopolisé par deux variétés de libéraux. François Bayrou et d’illustres inconnus, Alain Lambert et Éric Woerth, semblent seuls tenir la tribune.
Ceux qui veulent toujours moins d’impôt et ceux qui en veulent davantage pour pouvoir financer des réformes… ultralibérales.

Car, au fond, ils vont tous au même endroit. Vers une société privatisée (voici que c’est à présent le tour de La Poste), où l’espace public sera laissé en jachère. Et les socialistes dans tout cela ? Ils sont occupés à préparer leur congrès. Et leur tâche est rude : il leur faut se différencier alors que rien ne les différencie, et s’entre-déchirer dans le cadre d’un consensus idéologique qui s’étend jusqu’aux marches de la droite. Ce qui les condamne aux luttes fratricides, ou au « bon mot » anti-Sarkozy. Nous sommes loin de l’ébauche d’un projet.

N. B. : Lire dans ce numéro les deux analyses critiques passionnantes de Marie-Pierre Vieu (PCF) et de Jean-Luc Mélenchon (PS). Vous les retrouverez à la Fête de l’Humanité lors d’un grand débat sur le stand de Politis, qui sera cette année un stand « L’Appel de Politis ». Nous y accueillerons en effet en permanence tous les courants et mouvements signataires de l’appel.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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