Le retour de l’État ?

Gérard Duménil, directeur
de recherche
au CNRS, constate que la « nationalisa-
tion » d’institutions financières aux États-Unis remet au goût du jour un État réglementant l’effondrement du secteur financier.

Gérard Duménil  • 2 octobre 2008
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Le petit feuilleton de la crise financière vaut son pesant d’or, une valeur refuge. On se souviendra des profits colossaux réalisés par les banques entre 2001 et 2007. Il suffisait de lire la presse ou de manipuler les statistiques des comptabilités nationales pour observer l’invraisemblable hausse des taux de rentabilité du secteur financier états-unien (en lui-même et relativement à celui des sociétés non financières) : du jamais vu, au moins depuis que de telles données existent. Les cours boursiers de ces sociétés financières, une fois corrigés de la hausse des prix, n’ont-ils pas été multipliés par environ 2,5 entre 1995 et 2007 malgré le krach de 2001 ?
Début août 2007, éclatait la crise, et le public découvrait des mots nouveaux : subprime, titrisation, sans parler des CDO, LBO et autres. On apprenait alors à compter les zéros, par paquets de trois. « Tout sera terminé dans quelques mois. » « Nous sommes au seuil d’une nouvelle crise de 1929. » Á quel économiste se vouer, à quel homme politique, à quel directeur ou ex-directeur de grande institution ? Tout au moins les bourses ne cessaient-elles de chuter, et la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis, d’augmenter son soutien, ce qui signalait que rien ne s’arrangeait.

Avec la « nationalisation » des grandes institutions de refinancement des crédits hypothécaires dans ce pays, le duo maintenant célèbre de Fannie Mae et Freddie Mac, un nouveau pas était franchi. C’était pourtant bien Alan Greenspan, le gourou de la finance, président à l’époque de la Réserve fédérale, qui déclarait en 2005, que les « marchés » avaient bien tort de croire que le gouvernement fédéral était derrière Fannie et Freddy. Il rappelait que ces institutions étaient privées depuis 1970, et que rien n’obligeait l’État à leur porter secours si une tempête survenait. Mais on en était encore loin, à l’époque. Dans sa bouche, « la discipline du marché » revenait de manière incantatoire, une expression qui signifie que la rigueur du marché (la sanction qui suit la faute) est le garant de l’efficacité. Une si belle chose, jusqu’à ce jour récent où il a fallu mettre la main au portefeuille.
Le soutien se poursuivait, s’amplifiait. Mais voilà que la Réserve fédérale épuisait graduellement ses stocks de titres du Trésor, soit la caisse de l’État, qu’elle échangeait pour les titres des institutions malades de la peste hypothécaire. Le Trésor devait émettre de nouveaux titres et les vendre à la Réserve fédérale, qui a le privilège de créer la monnaie [[
Les banques commerciales le font également, mais sont soumises à certaines contraintes, celles que leur impose leur propre liquidité à la banque centrale.]], pour que celle-ci puisse poursuivre le grand échange du « propre » contre du « sale » : des belles créances contre des créances douteuses.
Mais voilà qu’en quelques jours, en cette mi-septembre, les « marchés » sont passés subitement de la déprime à l’euphorie. Sur quelle base ? L’annonce d’un plan de sauvetage massif. Toute la presse financière était pourtant pleine de mépris par rapport à ces temps où l’État réglementait plus ou moins ou, plus généralement, intervenait davantage (et aussi différemment) dans les affaires économiques. Les grandes sociétés financières états-uniennes et de bien d’autres pays ont-elles déjà oublié leur terreur récente ? Pas pour longtemps, comme la suite allait le prouver.

Il y a bien une chose, cependant, que personne n’avait oubliée, même les thuriféraires du New Deal, c’est qu’en mars 1933 les responsables des grandes banques new-yorkaises s’étaient précipités à la résidence de Franklin Delano Roosevelt, à peine élu, pour le supplier de déclarer au niveau fédéral la « vacance bancaire », c’est-à-dire la fermeture de toutes les banques afin d’arrêter la ruée vers les dépôts. Ce qu’il fit. Une mesure assortie de l’engagement de l’État à prendre en charge les créances douteuses. Il avait fallu trois ans d’effondrement.
Les responsables des politiques ont les années 1930 bien en tête. C’est pourquoi on pouvait soutenir depuis un an, sans grande chance de se tromper, que 1929 ne se reproduirait pas. Outre le fait que d’autres mécanismes étaient en jeu dans ces années, ces responsables sont désormais parfaitement informés de la gravité potentielle d’un effondrement cumulatif du système financier et décidés à tout faire pour l’arrêter. Tout ou presque. Lehman Brothers pouvait tomber, mais pas AIG, le géant de l’assurance contre les non-remboursements, sinon le reste suivait.
Reste à voir, évidemment, ce que sera le plan Paulson et quelle sera son efficacité. Mais la volonté est affichée, même si le plan de sauvetage a été rejeté par la Chambre des représentants le 29 septembre. Que penser de cette « socialisation » des pertes au lendemain d’une orgie de profits bien « privés » quant à eux ? Aucun doute, il faut soutenir car personne n’aurait à gagner d’un nouveau 1929, pas même la planète. Mais tout tiendra aux lendemains de crise. La dépression des années 1930 avait ouvert – avec le coup de pouce de la guerre et du mouvement ouvrier, il est vrai – une période de compromis social. Mais en 2008 : « On passe l’éponge et on recommence ? » Ils seraient prêts. Comment les en empêcher ?

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