« Très peu de gens comprennent ce qui arrive »

Thomas Naylor, essayiste
de la gauche libertaire
et anti-consumériste aux États-Unis, est l’auteur
de nombreux ouvrages
sur la société américaine. Critique acerbe du Parti démocrate,
il est également professeur émérite
en économie
à Duke University.
Il analyse ici
la réaction
des Américains face à la crise.

Xavier Frison  • 2 octobre 2008 abonné·es

Comment réagissent les Américains à cette crise financière dont on ne voit pas la fin ?

Thomas Naylor : Le plan de sauvetage de 700 milliards de dollars présenté par le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, attise la fureur des Américains. Ils sont bien plus impliqués dans ce qui se passe depuis l’apparition de ce plan, qu’ils vont devoir financer. En outre, leur colère est décuplée par la façon dont le gouvernement, le Congrès, la Banque fédérale et le secrétariat au Trésor ont échoué jusqu’à maintenant dans la résolution de la crise. Et les discours de Bush, parfois très alarmistes, font plus de mal que de bien. Cela n’a pas aidé le peuple à garder confiance. Les gens perdent leur retraite, ils n’ont plus les moyens de se soigner, ils perdent leur maison, cela va très vite. Cependant, je pense qu’ils auront besoin de ressentir encore un peu plus les conséquences de la crise avant de prendre réellement conscience de la situation.

Que pensent les citoyens de l’absence de réponse fiable à la crise, à Washington ?

Il y a eu de grosses manifestations contre le plan de sauvetage à Wall Street, le 25 septembre. Sur CNN, ils n’ont rien montré d’autre de toute la soirée. Localement aussi, les choses bougent. Ici, dans le Vermont, il y a un immense pic d’activité au siège de notre mouvement [Second Vermont Republic, mouvement d’indépendance pacifiste du Vermont basé sur la défaillance de l’État fédéral, NDLR]. Les télévisions viennent, des gens de l’université de droit du Vermont, dont nous essayons de capter l’attention depuis cinq ans sans succès, nous contactent, très agités, pour discuter de ce qui se passe.

Les gens comprennent-ils la situation, malgré la complexité des arcanes de l’économie ?

Je ne crois pas. Très peu de gens comprennent ce qui arrive. Car tout le système financier, les crédits, les fonds spéculatifs, tout ce système international et complexe a été bâti volontairement pour que le public, les médias ou toute autre entité extérieure ne puissent pas y mettre le nez. Ainsi, le système ne peut être régulé, et ses acteurs n’ont de comptes à rendre à personne, ou presque. Ils ont créé de toutes pièces une sorte de monstre dont quasiment personne n’est capable de comprendre le fonctionnement. Tant que la plupart des gens s’enrichissaient avec ce système, cela ne posait aucun problème ; maintenant que le système est cassé, tout va mal. Qui peut réparer cela ? Personne n’en sait rien.

Y compris les politiciens ?

Rares sont ceux en mesure d’influer sur le problème. On a vu une image très ironique ces derniers jours : Barack Obama posant entre Robert Rubin, ex-secrétaire au Trésor, et Laura Tyson, présidente du Conseil économique dans l’administration Clinton, deux de ses soutiens dans la campagne présidentielle. Or, ces gens ont été les architectes du système actuel dans les années 1990. Ils ne vont certainement pas régler le problème puisqu’ils ont été de ceux qui ont créé ce monstre. Quant à la nationalisation des grands établissements financiers, on appelle cela le « corporate socialism » , ce qui veut tout dire : c’est du socialisme qui bénéficie aux riches, à l’industrie de la finance.

Les Américains font-ils confiance aux candidats pour améliorer la situation ?

Dans les derniers mois, Bush, Paulson, McCain et Obama n’ont cessé de dire que, malgré les difficultés, on s’en sortirait. Mais il semble assez évident que l’on ne sortira pas indemnes de cette crise. Je suis persuadé qu’aucun de nos leaders politiques ne peut agir sur le problème. Le système économique global dans lequel nous évoluons est surdimensionné. Il commence à défaillir, mais c’est si complexe que si vous vous contentez d’une rustine pour boucher un trou, deux autres vont se déclarer ailleurs immédiatement. Certes, la crise va profiter à Obama, car McCain s’est totalement discrédité avec sa tentative de suspendre la campagne. Mais je n’ai aucune confiance en l’un ou en l’autre. Il est en outre totalement faux de dire que cette élection est l’une des plus importantes de l’histoire des États-Unis. Il s’agit sans doute de l’une des plus mineures, car peu importe qui sera élu : le nouveau président devra composer avec les intérêts des grandes compagnies privées.

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