Urgences politiques

Denis Sieffert  • 9 octobre 2008 abonné·es

Que va-t-il se passer ce samedi à Gennevilliers ? Et que va-t-il s’y décider ? Ces questions nous ont souvent été posées au cours des nombreuses réunions tenues depuis le lancement de l’Appel de Politis , à la mi-mai. Avec toujours plus d’intensité à mesure que l’on approchait de l’échéance. Elles reflètent une légitime aspiration à obtenir des garanties d’efficacité. Aurions-nous répondu, que cela aurait été suspect. Car cette journée sera évidemment ce que les présents en feront. On ne plaide pas pour que les citoyens réinvestissent massivement la politique, sans payer d’exemple. C’est l’assemblée des signataires de l’Appel de Politis qui décidera des prolongements qu’il convient de donner à cette initiative, et des modes d’organisation qu’il faut mettre en place. Cela n’empêche pas, ici, d’émettre quelques vœux et de faire des propositions. Le premier, le plus important, c’est que, samedi, une volonté commune s’exprime. Et que nul ne perde de vue la gravité de la situation et ses urgences. Autrement dit, que chacun ait le souci de préserver l’essentiel : le rassemblement de toutes les forces antilibérales et la création d’un cadre permanent d’action et de réflexion pour élaborer une véritable politique de transformation écologiste et sociale. Cette volonté doit être inébranlable. Pour cela, nous devrons évidemment faire la part des choses : développer d’abord ce qui nous rassemble et ce qui nous est immédiatement nécessaire pour faire face aux urgences de la situation ; puis, mettre en place les outils qui, pour le moyen et le long terme, nous permettront de travailler à des convergences plus profondes.

Dans le premier panier, tout ce qui nous réunit, tout de suite, tels que nous sommes. Dans le second, quelques débats au long cours qu’il serait malsain d’esquiver, mais imprudent de vouloir résoudre dans la précipitation. Dans le premier panier, une analyse partagée de la crise et quelques réponses qui suffisent à faire une politique audible par tous. C’est surtout à cela que nous devrons nous attacher samedi. Car les choses vont si vite que la situation a déjà bien changé depuis le lancement de notre Appel, au mois de mai. À l’époque, nous aurions sans aucun doute centré notre analyse sur la politique de Sarkozy. L’accélération de la crise économique et financière porte aujourd’hui le débat à un autre niveau. Nous sommes dans l’un de ces rares moments de vérité. Les discours peuvent toujours mentir – et ils ne s’en privent pas ! –, mais aucune contre-vérité ne fait illusion plus de vingt-quatre heures. « La crise est derrière nous » ; « L’Europe ne sera pas touchée » ; « Les banques françaises sont solides » ; « L’économie réelle n’est pas menacée » : aussitôt dit, aussitôt démenti ! Ne serait-ce que la dernière assertion, alors que la crise vient de détruire 150 000 emplois en moins d’un mois aux États-Unis. Mais Nicolas Sarkozy, nos ministres, les responsables européens, MM. Bush et Paulson, Mme Parisot, M. Strauss-Kahn et quelques caciques du parti socialiste mènent de concert, tous avec leurs mots, et dans leur fonction, une bataille idéologique plus subtile. Il s’agit de nous convaincre que ce n’est pas le système qui est en crise, mais que nous sommes victimes de ses abus. Les banquiers faillis ne seraient plus seulement des délinquants du point de vue de la morale collective, ils le seraient aussi aux yeux de leurs pairs. Leurs excès les placeraient en marge du système. En somme, ils seraient le déshonneur de la corporation. Il conviendrait donc de « moraliser » le système. Feu sur les « parachutes dorés » ! Et vive le code éthique du Medef !

Derrière cette ultime manipulation de l’opinion, c’est une autre vérité qu’il faut travestir. La vérité profonde d’un système qui organise à sa façon le partage des richesses. Et celle-ci est bigrement subversive, pour ne pas dire « révolutionnaire ». Paradoxalement, par temps de crise, l’argent sort de terre comme champignons après la rosée. Ces milliards cachés, enfouis, font irruption en pleine lumière. Les livres de comptes des multinationales ou des groupes bancaires s’ouvrent en plein journal télévisé. Et nous faisons cette « découverte » ébouriffante : l’argent existe, à foison. Et l’on nous dit que dix pour cent de notre PIB se sont déplacés en vingt ans du travail vers le capital. Et que cela représente rien que cette année, en France, près de deux cents milliards d’euros. La voilà, l’incroyable rapine du maraudeur dont le parachute doré n’est finalement que l’ultime faute de goût ! Tous ces milliards, alors qu’il n’y a jamais un sou pour le logement social, ni pour les salaires, ni pour la Sécu, ni pour la faim dans le monde ou l’aide au développement ! Voilà le constat. Mais quoi faire pour ne pas en rester là ? Quels mots trouver qui transformeront notre indignation en propositions ? Et comment convaincre le plus grand nombre que cette colossale injustice n’est pas une fatalité ? Ces questions, décidément, nous ramènent à notre journée de samedi. C’est cela le débat. Quelle structure mettre en place pour chercher et trouver les formules ?

Celles qui créeront une dynamique en s’appuyant sur toutes les forces existantes, politiques, syndicales, associatives, qui partagent ce constat et cette volonté d’agir. Mais aussi établiront les liens de causalité que, de l’Élysée au Medef, on s’efforce de masquer. Par exemple : il nous paraît manifeste que le traité de Lisbonne, fossoyeur des services publics, obstacle à toute intervention arbitrale de l’État, n’est pas compatible avec une politique de rupture avec le libéralisme. Manifeste aussi que la politique de Nicolas Sarkozy de privatisations est en parfaite contradiction avec son discours enjôleur et faussement « antilibéral ». Mais ces liens et ces contradictions ne sont pas évidents pour tout le monde. Ces liens, il faut les rendre visibles par tous. Ce sont ces chantiers qu’il nous faudra ouvrir samedi. Sur l’économie, sur le social, sur l’écologie, sur l’Europe, sur les institutions, sur la démocratie.
Et c’est la nature du pacte de tous ceux qui veulent mener à bien cette tâche en commun et la construction politique originale qu’il nous faudra discuter. Les urgences sont telles qu’il n’y a pas un instant à perdre.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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