« Il faut un salaire minimum et un salaire maximum »

Économiste et professeur à Sciences Po Paris, Jacques Généreux* livre ses espoirs et ses craintes concernant la réunion du G20, et propose des pistes pour sortir de la crise financière. Retrouvez ici la version intégrale de l’article publié dans Politis du 13 novembre.

Politis.fr  et  Manon Loubet  • 12 novembre 2008
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Les vingt pays les plus riches de la planète se regroupent samedi 15 novembre pour faire face à la crise financière. Qu’attendez-vous de cette réunion ?

Jacques Généreux : Je n’en attends pas grand-chose. Les dirigeants vont, sans aucun doute, programmer un nouveau Bretton Woods pour réorganiser les fi­nances, les banques et les crédits. Ils vont chercher des moyens de prévenir les ­crises. Mais ça ne réglera rien. La régulation des banques n’empêchera jamais les crises financières. Il y aura toujours des mouvements spéculatifs et des bulles spécu­latives. Quand il y a une bulle spéculative, même s’il y a eu une supervision ­préalable, elle éclate un jour ou l’autre. Si on ne rend pas l’argent aux travailleurs et aux investisseurs qui œuvrent au sein de l’économie réelle, si le robinet des capitaux coule encore à flots, ça ne changera rien, si ce n’est qu’on verra venir la catastrophe. Si les dirigeants du G20 ne dénoncent pas la responsabilité de la libre circulation des capitaux, les excès du libre-échange et le développement global d’une économie qui n’est plus en faveur des peuples et du travail mais des actifs financiers, ce sera un G20 pour rien.
Cependant, je mûris un espoir. Le 15 no­vembre, ce ne sera pas un G7 ou un G8, ce sera un G20, où des pays comme l’Afrique du Sud, la Chine et l’Argentine siégeront. Les populations de ces pays rencontrent d’autres besoins que les ­nôtres. S’il y a un rééquilibrage des rapports de force, on verra peut-être émerger ­d’autres solutions. Néanmoins, j’en doute fortement, car même les élites qui gouvernent ces nouveaux pays industrialisés profitent du système de développement orienté vers le marché international.

D’après vous, comment peut-on sortir de la crise financière actuelle ?

S’il n’y a pas une réaction à la hauteur des gouvernements pour éviter les faillites des entreprises, les licenciements, la baisse des salaires, le processus cumulatif de récession, nous risquons d’entrer dans une dépression très dure. Dans l’immédiat, je pense qu’il faut préserver les salariés et les ménages des conséquences de la crise. Il suffit de garantir et d’assurer le maintien des familles dans leurs logements avec des conditions d’étalement de leurs dettes, assorties d’une garantie publique sur leur règlement. En matière d’emploi, il faut interdire immédiatement les nombreux licenciements à titre préventif des entreprises. C’est également le moment de ­penser à bloquer les loyers.

Notre système économique est fragile. Les ­crises financières et les ralentissements économiques sont fréquents (1929, 1979, 2003). Quelles sont les failles ?

Les racines profondes des crises résultent de la logique même du système capitaliste, en particulier de la manière dont il fonctionne depuis une trentaine d’années. À la charnière des années 1970-1980, avec le renversement des rapports politiques au profit de la droite libérale et conservatrice, il y a eu un bouleversement du mode de fonctionnement du capitalisme. On a donné le pouvoir aux détenteurs du capital et réorienté le but des entreprises vers la maximalisation des profits. La mondialisation a eu pour effet une stagnation, voire une baisse, des salaires réels pour les ouvriers en bas de l’échelle alors que, dans le même temps, on observait une explosion des plus hauts revenus des dirigeants. Notre système est voué à soutenir les détenteurs du capital. Il ne peut être viable à long terme puisqu’il réprime son principal pilier : la masse. En proposant des artifices temporaires comme le crédit, le capitalisme anesthésie la résistance des travailleurs. Va-t-on pouvoir écraser la masse encore longtemps ? Il semble impératif de rétablir un capitalisme au service des peuples, si l’on ne veut pas essuyer une guerre économique.

Comment le mettre en place ?

D’abord, il faut mettre l’accent sur les salaires : instaurer un salaire minimum et un salaire maximum pour réduire les inégalités. Nous n’avons pas besoin d’avoir des patrons qui gagnent 500 fois plus que leurs employés. Ensuite, il faut supprimer ­toutes les formes de parachute doré, qui n’ont aucune raison d’être. Enfin, les entre­prises doivent faire leur travail, c’est-à-dire adopter des stratégies industrielles d’efficacité à long terme et non pas des stratégies ­débiles de maximalisation de la valeur de l’actionnariat à court terme.
Pour fonctionner, ces mesures struc­turelles doivent être accompagnées de règles internationales. Sinon, toutes les entreprises fuiront notre pays pour s’installer dans d’autres où il y aura moins d’impôts, de contraintes et une main-d’œuvre moins chère. On arrive donc à une question fondamentale : le libre-échange. Pour les pays européens, l’idéal serait de ne pas re­mettre en cause le libre-échange entre eux mais de faire progresser très vite l’harmonisation fiscale et sociale mondiale afin ­d’éviter cette pression continue sur les salaires, engendrée par la compétition entre les pays du monde, où parfois les rémunérations sont trente fois ­inférieures au revenu moyen européen. Cela ne signifiera pas la fermeture des frontières de ­l’Union européenne. Au contraire, les échanges continueront, mais avec un tarif extérieur commun européen. Taxer les produits chinois ou indiens limiterait une concurrence déloyale et établirait une vérité des prix. En imposant un degré de protection, ce n’est pas un mauvais coup porté aux pays émergents, c’est un moyen de les inciter à se développer en interne, afin d’améliorer le niveau de vie de leur propre population.

* Jacques Généreux est signataire de l’Appel de Politis et a été un opposant au projet de Traité constitutionnel européen (TCE). Il milite au sein du Parti socialiste dans le courant Nouveau Parti socialiste de Benoît Hamon.
Temps de lecture : 5 minutes
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