L’adieu au public

La Poste est préparée à la privatisation par sa direction, qui privilégie depuis des mois la rentabilité au détriment de ses missions initiales.

Patrick Piro  • 20 novembre 2008 abonné·es

La Poste, une entreprise publique ? Une réorganisation l’a déjà, depuis des années, scindée en centres de profits aux activités de plus en plus cloisonnées. Face au refus de la direction d’assumer au grand jour cette évolution, Nicolas Galepides, administrateur élu Sud-PTT du groupe, a produit un organigramme de la nébuleuse La Poste, faisant apparaître une structure capitalistique interne inédite : 291 filiales regroupées en holdings – Sofipost (Mediapost…), Geopost (Chronopost, Exapaq…), La Banque postale, etc. – gérant les activités courrier, colis, banque, mais aussi la valorisation du parc immobilier, etc. « Avec le transfert d’activités vers ces filiales, 40 % du chiffre d’affaires de La Poste sont aujourd’hui générés par des entreprises de droit privé » , explique-t-il.
La distribution du courrier, dont La Poste perdra le monopole sur les objets de moins de 50 grammes, est en pleine « massification » de ses flux. Les quelque 160 centres de tri saupoudrés sur le territoire vont laisser la place à une quarantaine de méga-usines de traitement du courrier, bourrées de technologie. Avec des conséquences cocasses : une lettre parcourra 320 kilomètres, via Bordeaux, pour passer de Confolens à Angoulême, villes distantes de 65 kilomètres. Pour optimiser les investissements, ces plates-formes seront implantées à distance des nœuds routiers, où les terrains sont trop chers. Une seule, actuellement, se trouverait à proximité d’une gare ferroviaire, contrairement aux « anciens » centres de tri.

La contradiction est violente avec le dada « développement durable » enfourché par La Poste. Des gadgets sont promus, qui ne devraient pas peser lourd dans le bilan « CO2 » du groupe : l’« écoconduite » expérimentée cette année auprès des facteurs ; ou la création en 2006, à grand renfort de communication, d’une filiale commune avec la SNCF, dotée d’à peine deux millions d’euros pour repeindre deux vieilles rames de TGV aux couleurs de La Poste. Retour au rail, après ­l’abandon des trains postaux (à l’intérieur desquels on triait) ? Il faut savoir que, chaque nuit, La Poste affrète une douzaine d’avions pour délivrer des objets postaux à « J +1 » pour 100 millions d’euros par an. Lors du premier salon « Planète durable » tenu en avril dernier à Paris, le groupe trônait sur un grand stand détaillant par le menu ses efforts pour concevoir… des stands à impact environnemental minimal !
Pilier d’un passage à la culture du privé, la gestion du personnel est clairement orientée vers le dégraissage. Mais comment faire quand on n’a pas droit à un plan social ? Grâce à une diminution du nombre d’emplois lente et sournoise. Ainsi, La Poste tente d’exploiter au mieux un filon gras : le départ naturel de 12 000 salariés par an. Pour faire en sorte de n’en remplacer qu’un minimum, le groupe impose au personnel des règles de mobilité interne de manière à combler les trous sans avoir à réembaucher.

Un décret de janvier 2007 aide l’entreprise, brisant l’un des piliers du service postal : son accessibilité. Ainsi, l’entreprise n’a plus ­l’obligation de délivrer du courrier partout sur le territoire, six jours sur sept, si elle juge les conditions « défavorables » – éloignement, trop peu d’objets à ­remettre, etc. « C’est une disposition strictement française, elle n’est en rien exigée par la directive européenne d’ouverture des services postaux. Passer à trois jours par semaine, c’est un quart des emplois de facteur qui passe à la trappe ! », redoute Nicolas Galepides.
Aux guichets, 10 000 emplois ont déjà été supprimés depuis 2005. Pour compenser la perte de qualité du service, La Poste a lancé un plan destiné à réduire les temps d’attente, qualifiés de « destructeurs de confiance » pour les clients. Dans près de 280 bureaux, il faut patienter en moyenne environ 15 minutes, et la file dure parfois jusqu’à 50 minutes. Pour distraire les irritables, les bureaux sont équipés d’écrans vidéo : 21 millions d’euros d’investissement, et pas un emploi créé…

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