Jardins suspendus

À Chennevières-sur-Marne, des habitants cultivent depuis 2006 des terrains collectifs. Aujourd’hui, le conseil général reprend possession des parcelles. Quel sera l’avenir de cet espage de partage et de rencontres ?

Manon Loubet  • 11 décembre 2008 abonné·es

« Même sous la pluie, les jardiniers défrichent leurs ­terres. « Ici, ce sont les parcelles pédagogiques, explique Michèle Perron, vice-­présidente de l’association Les Jardins des ­Bordes. Des centres de loisirs et des apprentis ­viennent jardiner. En ce moment, nous enlevons les mauvaises ­herbes car ici, c’est 100 % bio ! » Emmitouflés dans leurs impers et leurs bonnets, Michèle et ses compagnons ratissent, bêchent et ramassent les légumes d’hiver. « En cette saison, nous avons des betteraves, des poireaux, des radis noirs, et nous venons de planter des salades », montre Gilbert Durand, également vice-président de l’association. Sur les 40 hectares de terrain de la commune de Chennevières-sur-Marne, des parcelles de jardinage collectives et individuelles sont entretenues régulièrement par des habitants de plusieurs communes.

Illustration - Jardins suspendus

Les parcelles collectives et individuelles des Jardins des Bordes s’étendent sur 40 hectares. DR

« Un lien social très fort s’est développé entre nous. Des jeunes comme des personnes âgées, des personnes issues des milieux favorisés et défavorisés jardinent ensemble. C’est un lieu de rencontre entre différents mondes », affirme Florence Jacquiau, présidente des Jardins des Bordes. Les potagers sont séparés par des piquets et un fin fil bleu. Autour, la nature prend sa place. Des étendues d’herbes sauvages et d’arbres jalonnent les exploitations. Au milieu d’un bois, une dizaine de ruches collectives sont installées.

Quelques pas plus loin, ce paysage est saccagé. « Le conseil général du Val-de-Marne, à qui appartient le domaine, a tout défriché sans prendre en compte les nombreuses espèces animales qui vivaient dans ces haies. Nous n’étions même pas au courant… » , se désole Gilbert Durand. Depuis la création des jardins, les relations entre le conseil général du Val-de-Marne, présidé par le PCF, et les associations impliquées sont mouvementées. Lors de l’abandon du domaine par l’exploitant agricole en 1998, des citoyens de plusieurs communes s’intéressent à l’espace naturel. « On voulait éviter la construction d’une zone d’activités ou d’un lotissement » , explique Florence Jacquiau. Après plusieurs années de réflexion et d’échanges avec le conseil général, des habitants créent une association et présentent leur projet de jardin collectif aux élus du conseil général. Ceux-ci leur répondent que l’espace est déjà loué à un pépiniériste pour trente ans. « Nous étions en colère car nous discutions depuis longtemps déjà avec le conseil général pour faire quelque chose sur ce terrain », se souvient Florence Jacquiau. Les bénévoles ne baissent pas les bras. Ils sollicitent le pépiniériste pour qu’il leur sous-loue une partie de ses terres. La réponse est positive et, depuis janvier 2006, une soixantaine de personnes cultivent les jardins.
« La première récolte fut très satisfaisante, c’est une bonne terre », assure Gilbert Durand. Des formations à l’agriculture biologique et à des techniques expérimentales écologiques, comme le bois raméal fragmenté, se mettent en place. D’autres associations se rattachent aux jardins, notamment des apiculteurs. « Une Association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) a également été créée, ajoute Florence Jacquiau, mais les maraîchers bios ne peuvent pas s’installer tant que nous sous-louons le terrain au pépiniériste. » Par ailleurs, l’association aimerait implanter des jardins de réinsertion et un espace pour les Restos du cœur. Mais le conseil général reste à l’écart du projet.

« Des professionnels ont étudié notre proposition et ont soumis un rapport aux élus début 2007. Le projet s’est révélé trop onéreux, alors ils l’ont reporté » , précise Florence Jacquiau. Depuis, les jardins des Bordes ont freiné leur développement. Les bénévoles ignorent l’avenir qui est réservé au domaine. Et les événements survenus récemment les inquiètent : une partie de l’ancienne ferme a été démolie, sans tenir compte des nids d’hiron­delles, et une étendue d’herbe et des haies ­sauvages ont été rasées. « Ce comportement va finir par mener à un clash, et ce n’est pas ce que nous voulons, regrette Florence Jacquiau, nous aimerions une concertation. Ça fait un an que nous n’avons pas eu de réunion commune. Nous n’avons aucune idée de ce que les élus veulent faire. Je ne comprends pas pourquoi un conseil général de gauche réagit de cette manière. »

Patrick Meslé, maire adjoint de Chennevières-sur-Marne, tient un autre propos : « Les élus du conseil général souhaitent que le domaine ne soit pas seulement un lieu de jardinage et de maraîchage, mais aussi un lieu de promenade pour les habitants. Je crois que nous devons aller dans leur sens pour faire avancer le projet. » Patrick Meslé soutient qu’un partenariat formel avec le département est indispensable : celui-ci possède le terrain et subventionnera en grande partie les jardins. Surtout, le pépiniériste devrait bientôt résilier son bail, et le conseil général va recouvrer ses droits sur le domaine. Michel Coronas, chef de cabinet du président du conseil général, indique que la poursuite du projet est en attente : « Nous soutenons ces jardins, mais nous devons d’abord stabiliser la situation juridique afin de récupérer la propriété pour pouvoir commencer quelque chose. Le pépiniériste n’a pas encore signé. » Pour l’instant, la situation semble bloquée.

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