Le chômage maltraité

La mise en place du Pôle emploi a déclenché une grève historique des agents de l’ANPE, qui voient dans cette fusion avec les Assedic l’amorce d’une dégradation de leurs conditions de travail.

Pauline Graulle  • 11 décembre 2008 abonné·es

Le Pôle emploi, dispositif fusionnant les Assedic et l’ANPE, verra le jour en 2009. Pour Laurent Wauquiez, secrétaire d’État à l’Emploi, « ce n’est pas seulement mettre un toit commun sur deux maisons, ce n’est pas un changement administratif, c’est un changement du service rendu » . Ou plutôt une redéfinition radicale des missions des salariés, qui a entraîné, le 1er décembre, les agents de l’ANPE dans la grève la plus suivie en quarante années d’existence de celle-ci.

Illustration - Le chômage maltraité

Manifestation le 1er décembre des salariés de l’ANPE et des Assedic contre la fusion des deux organismes. Daniau/AFP

Au-delà des revendications salariales et de la demande pressante d’augmenter les effectifs, c’est un malaise profond qui secoue la profession. Les conseillers gèrent en moyenne 120 « portefeuilles » de demandeurs d’emploi, et – crise oblige – les ­agences débordent de demandes. En outre, les salariés ont le sentiment d’être instrumentalisés dans le cadre des manœuvres du gouvernement pour mettre la main sur l’assurance-chômage.
Les futurs salariés du Pôle emploi verront ainsi leur travail réduit à une simple logique de gestion des flux de main-d’œuvre. Ils deviendront les « référents uniques », chargés en théorie de combiner les missions d’aide à la recherche d’emploi (jusqu’alors dévolues aux agents de l’ANPE) et celles de l’indemnisation, la mission des salariés des Assedic. « Impossible !, s’insurge Jacqueline Lablanche, chargée de mission et membre du Snap-ANPE. Comment peut-on être à la fois dans une relation d’aide, d’empathie, de conseil, d’élaboration d’un projet professionnel, et de l’autre côté être le père fouettard ? »
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Car il ne faut pas s’y tromper. La nouvelle *« DRH de la France »
, selon les mots de Christian Charpy, directeur général de l’ANPE, sera moins destinée à répondre aux besoins des chômeurs qu’à devenir le bras armé d’un gouvernement animé par deux obsessions. Faire tomber artificiellement le taux de chômage à 5 %, une promesse que Nicolas Sarkozy a réitérée en juin 2008, alors même que la crise financière se transmuait en crise économique ; et fournir rapidement une main-d’œuvre flexible et bon marché au patronat.
Dans cette optique, il fallait donc mettre au pas les futurs salariés chargés d’appliquer cette politique coercitive de retour « forcé » à l’emploi, via la mise en œuvre du principe de l’offre raisonnable d’emploi, mesure phare de la « loi sur les droits et les devoirs des demandeurs d’emploi » votée en août.
Une arme de radiation massive inventée par le gouvernement pour tailler dans les dépenses de l’assurance-chômage. « Avec ce système de référent unique, nous devenons des opérateurs de placement au sens strict, remarque Régis Dauxois, secrétaire général de FO-ANPE. Notre travail consistera à appliquer le principe de l’offre raisonnable d’emploi, c’est-à-dire à rencontrer les gens pour les répartir dans des métiers en tension, et, s’ils re­fusent, leur faire signer les refus d’offres d’emploi pour les radier. Derrière les promesses mensongères du gouvernement d’offrir un accompagnement renforcé, il s’agit de mettre en œuvre une logique de contrôle. »

Une plateforme téléphonique payante recevant des appels minutés sera d’ailleurs mise en place. À quoi bon entretenir les relations humaines quand il s’agira de répartir les travailleurs comme on range des boîtes de conserve dans les rayons d’un supermarché ? « Le vécu par les personnels est terrible, car on leur renvoie une image extrêmement dévalorisée de leur métier, on les fragilise personnellement dans le contact avec les usagers. Les demandeurs étant par ailleurs insatisfaits d’un service rendu au rabais », souligne Noël Daucé, porte-parole du SNU-ANPE.
S’ajoute à ce reformatage du contenu de leur activité la précarisation des anciens agents publics de l’ANPE, qui seront soumis à la convention collective de droit privé du Pôle emploi. Une façon de ­fragiliser les statuts pour renforcer le contrôle des « opérateurs » censés appliquer à la lettre les consignes de la direction. « Notre culture de service public faisait que les conseillers pouvaient appliquer avec peu de zèle les instructions. On avait une certaine marge de manœuvre pour éviter les radiations quand on les jugeait injustes » , explique Catherine Lebrun, syndicaliste à SUD et conseillère à l’ANPE-Spectacle. Une époque révolue.
Les entretiens de suivi de l’activité des agents seront étendus sur tout le territoire, afin de mesurer leurs « performances » : « La pression monte déjà. Nous n’avons pas de taux de radiation à atteindre comme les préfets ont un taux de reconduites à la frontière. Mais ce qu’on entend dans les réunions de service, c’est qu’il faut veiller à la “fluidité” de son portefeuille de chômeurs. C’est-à-dire faire sortir par tous les moyens les demandeurs d’emploi de l’assurance-chômage » , souligne Sylvette Uzan-Chomat, du SNU-ANPE.

Si, malgré tout, les agents du Pôle emploi continuaient d’émettre quelque résistance, reste encore une botte « secrète » au gouvernement : accentuer la concurrence avec les « opérateurs privés de placement », que l’assurance-chômage financera à hauteur de 100 millions d’euros en 2009. Il faut bien que la casse du service public pour tous profite à quelques-uns…

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