Cadeaux dangereux

Le plan de relance de Nicolas Sarkozy aiguise les appétits des magnats de l’immobilier et de l’industrie automobile. Deux secteurs qui ont peu de préoccupations sociales.

Christian Jacquiau  • 15 janvier 2009 abonné·es

« Je crois profondément qu’il faut une relance, parce qu’après la crise financière on est dans la crise économique » , a affirmé Nicolas Sarkozy en annonçant en octobre 2008 un premier « plan de soutien très puissant à l’activité économique » . Renforcé deux mois plus tard après un discours prononcé à Douai, le plan de relance présidentiel est l’occasion d’une bien modeste opération de déstockage dans le secteur de l’immobilier et de l’industrie automobile. Deux secteurs qui ont croulé sous les bénéfices et qui se sont laissé aller à produire et à surstocker sans aucune considération de la demande réelle du fameux marché. Les mêmes tentent aujourd’hui d’apparaître comme des victimes de la crise.

Illustration - Cadeaux dangereux

Le coût de la « prime à la casse » est estimé à 220 millions d’euros.
SAGET/AFP

Plus de 100 000 logements seraient aujourd’hui invendus alors que « la France compte plus de trois millions de personnes non ou mal logées, auxquelles s’ajoutent près de six millions de personnes en situation de réelle fragilité à court ou moyen terme en termes de logement » , a dénoncé récemment la Fondation Abbé-Pierre. Le plan de relance contient donc une opération « 30 000 logements » qui consiste à permettre aux organismes d’habitations à loyer modéré (HLM) de racheter à prix décoté une partie du parc des appartements invendus, les promoteurs ayant ainsi la possibilité de réduire leurs stocks dans des conditions satisfaisantes (absence de frais de commercialisation, baisse du taux de la TVA).
L’industrie de la construction, elle aussi, veut sa part du gâteau, comme en té­moignent les difficultés rencontrées par la Société nationale immobilière (SNI), principal bailleur de France et filiale de la Caisse des dépôts : première à répondre à l’opération « 30 000 logements » et à s’engager à en racheter un minimum de 10 000 auprès des groupes privés de la promotion immobilière, la SNI a vu dans un premier temps son offre rejetée. Mêmes difficultés pour l’Immobilière des chemins de fer atlantique (groupe ICF) : « Les dossiers que nous recevons sont entre 20 % et 30 % au-dessus des prix acceptables par un bailleur social » , explique Fabien Gras.
De son côté, la Fédération des promoteurs constructeurs a émis « les plus expresses réserves » sur la décote moyenne de 35 % du coût de revient que lui proposait la SNI. « Il y a très peu de rachat, explique le président du directoire du groupe SNI, André Yché. Et la décote acceptée par les promoteurs constructeurs varie entre 17 et 23 %. »
Autrement dit, les promoteurs ne perdent pas d’argent : ils continuent même à en gagner. Nexity, le premier promoteur français, qui n’entendait pas descendre en dessous d’un prix moyen de 2 600 euros par mètre carré, soit une décote de 20 %, compensée par l’absence de frais de commercialisation et par une baisse de la TVA, a rejeté les 2 000 euros par mètre carré que lui proposait la SNI : « Nous pouvons nous contenter d’une marge faible, mais nous ne sommes pas dans une situation telle qui justifie que nous vendions à perte » , a expliqué en novembre Alain Dinin, PDG de Nexity. Ajoutant, pour qui ne l’aurait pas deviné: « Je n’ai pas de difficultés de trésorerie. » Ce qui n’a pas empêché Nexity (212 millions d’euros de bénéfices nets en 2007) d’annoncer au même moment un plan social visant 150 de ses salariés. Kaufman & Broad (plus de 84 millions d’euros de bénéfices nets en 2007), qui espère bien vendre 400 logements dans le contexte de ce plan très favorable aux promoteurs, assure lui aussi qu’il ne vendra pas « à perte » – et dans le même temps annonce 160 licenciements. Crise sociale, économique et financière ou pas, pas question pour les promoteurs constructeurs de consentir de substantiels rabais en faveur du logement social.

Autre pilier du plan de relance Sarkozy : l’industrie automobile. François Fillon, Premier ministre, a évoqué le chiffre d’un million de voitures en stock pour les seuls constructeurs français, pour justifier de la pertinence du plan. « On va bientôt arriver à une date où il sera impossible de programmer des coupes de production, parce qu’il n’y aura plus de production » , a renchéri Michel Gornet, directeur général adjoint en charge des fabrications et de la logistique chez Renault. « L’État est prêt à tout faire pour sauver l’industrie automobile, qui emploie directement ou indirectement 10 % de la population active », a alors promis Nicolas ­Sarkozy en réponse aux menaces à peine voilées de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan : « Les destructions d’emplois seront massives dans les pays qui n’aideront pas rapidement le secteur automobile à se financer. »
Le plan Sarkozy prévoit un soutien exceptionnel aux filiales bancaires des deux constructeurs automobiles français, le groupe PSA et Renault, sous forme d’un prêt de deux fois 500 millions d’euros. Une prime dite « à la casse » de 1 000 euros, dont le coût global est estimé à 220 millions d’euros, a été mise en place pour le retrait de la circulation des véhicules de plus de dix ans et leur remplacement par des véhicules neufs dont la finalité environnementale n’est qu’un prétexte.

Les deux géants de l’automobile sont pourtant loin de connaître de grandes difficultés économiques : PSA a enregistré plus de 525 millions d’euros de bénéfices nets en 2007, et Renault pas moins de 2,7 milliards d’euros en 2007. Et les bénéfices, même en baisse, seront vraisemblablement au rendez-vous en 2008. Le niveau des dividendes versés aux actionnaires restera probablement élevé, alors que les plans sociaux se sont succédé : près de 7 000 suppressions d’emplois annoncés en 2008 dans le groupe PSA en incluant Faurecia et Peugeot Motocycles, et près de 5 000 emplois chez Renault.
« Les constructeurs français ont déjà redéployé leurs forces en Europe centrale et en Europe de l’Est, afin de bénéficier de faibles coûts de production […]. PSA a ouvert une usine en Slovaquie en octobre 2006, qui lui permet de bénéficier de coûts de production par voiture inférieurs de 500 euros à ceux d’une usine française, tandis que l’usine [Peugeot] de Ryton [Grande-Bretagne] a fermé ses portes en janvier 2007. Renault a de son côté augmenté ses capacités en Roumanie, en Slovénie et en Russie » , ­soulignait déjà en 2007 Catherine Fresson-Martinez, dans une étude publiée par l’Insee [^2]

La production des constructeurs français sur leur territoire ne cesse de baisser alors que leur production hors de France connaît la situation inverse : « Pour la première fois en 2006, le nombre de véhicules produits par les constructeurs français sur le territoire national (2,8 millions) a été inférieur à leur production réalisée à l’étranger (3,1 millions) » , a relevé Catherine Fresson-Martinez.
Cela aurait dû alerter les pouvoirs publics – mais il n’en est rien. Désormais, plus d’un véhicule sur deux est produit à ­l’étranger, contre 41 % en 2000. Et le processus ne cesse de s’accentuer. « Alors que la direction de Renault impose à ses salariés hexagonaux des congés forcés à répétition, au prétexte d’une surproduction, les ouvriers de Bursa, en Turquie, sont dans le même temps amenés à faire les trois huit et même à travailler le samedi » , explique Pascal Quadrubbi, délégué CGT chez Renault-Flins.
Enfin, minuscule détail : Nicolas Sarkozy accorde au secteur automobile un poids qu’il n’a pas. La seule industrie automobile française n’emploie pas plus de 170 000 personnes, c’est-à-dire à peine 0,61 % de la population active. Et à l’image de ce qui s’est passé pour la sidérurgie, les constructeurs automobiles ont mis en place des plans « sociaux » qu’ils prétendent inéluctables, continuant ainsi d’alimenter la crise économique. Avec le plan de relance de Nicolas Sarkozy, l’industrie automobile empoche, sans contrepartie et sans engagement, des aides substantielles de l’État qui lui permettront d’engranger davantage de bénéfices en délocalisant dans des pays à faibles coûts sociaux. N’est-ce pas Carlos Ghosn, président du groupe Renault-Nissan, qui déclarait à l’hebdomadaire brésilien Veja en janvier 2007 : « Le monde doit fabriquer des voitures avec la même mentalité frugale que les Chinois et les Indiens. » Ce modèle vaut aussi pour l’ensemble des activités économiques.

[^2]: L’industrie automobile française en perte de vitesse en 2006, Insee Première n° 1149, juillet 2007.

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