Socialisme écologique

Jean-Marie Harribey  • 22 janvier 2009 abonné·es

En ce début 2009, la crise est loin d’être finie, mais déjà des premiers enseignements en sont tirés. Les gouvernements, de Washington à Paris, Berlin et Londres, s’activent pour refonder le capitalisme, une fois mises à l’index les brebis galeuses comme Madoff. Les économistes bien en vue font preuve d’éclectisme mystificateur en mariant Keynes, héraut de la régulation, et Friedman, figure de proue du néolibéralisme [^2]. Du côté des altermondialistes, après avoir eu raison de critiquer le capitalisme organisant la dégradation des rapports sociaux, sur laquelle se greffait la financiarisation de l’économie mondiale, que peut-on dire pour dessiner des alternatives ?
Cette crise est une crise de la globalisation, qui, depuis deux siècles d’accumulation capitaliste, arrive à un point très critique : le processus de la marchandisation (celui que dénonçait Marx dès les premières lignes du Capital ), qui soumet toutes les activités humaines à l’exigence de profit, happe tous les moments de la vie des individus. Lorsque l’exploitation du travail passe un certain seuil, la finance plane hors sol et finit par s’écraser. La crise est également globale car, pour mener à bien son entreprise d’accumulation infinie, le capitalisme a mis en coupe réglée la nature, au point de s’approcher du moment où les bornes mises par la biosphère à l’expansion de la production et de la consommation matérielles seront atteintes. Ces deux phénomènes sont liés par la dynamique même du capitalisme, tout en n’étant pas réductibles l’un à l’autre : l’affrontement capital/travail structure le monde, mais le saccage de la nature ne s’y résume pas.

Une conclusion s’impose : plus le capitalisme se rapproche des points de tensions sociale et écologique ultimes, moins il peut prétendre constituer une solution aux urgences qu’il a engendrées. Le bilan de trois décennies de néolibéralisme est que le social et l’écologie ont été conjointement immolés sur l’autel de la rentabilité. La frénésie avec laquelle s’agitent les gouvernements ne doit pas faire illusion. La croissance verte, fût-elle baptisée keynésianisme vert, ne pourrait être conçue qu’en sacrifiant un peu plus le social, par exemple en remplaçant les cotisations permettant la protection sociale par des taxes écologiques, au nom de la compétitivité, laquelle n’est jamais un critère de défense de l’écologie. Ainsi, ou bien les questions sociale et écologique seront résolues ensemble, ou bien elles seront niées toutes les deux.
La crise, dont le déclencheur apparent fut la finance, aura eu le mérite de permettre de nommer les choses par leur nom. Alors que le « capitalisme » avait disparu du vocabulaire depuis trente ans, aujourd’hui il n’est question que de lui. Tous les euphémismes (libéralisme, économie de marché…) ont laissé la place à une réalité plus crue car les tenants de l’ordre établi ne s’y trompent pas : il faut sauver l’essentiel. Et, pour y parvenir, ils ont renoué avec leurs vieux réflexes : privatiser les bénéfices, socialiser les pertes.
Dès lors, il convient de les prendre au mot, c’est le cas de le dire. Socialisons. Non seulement les biens communs de l’humanité (air, eau, ressources, connaissances…), mais aussi la monnaie et le crédit, qui furent centraux dans l’entrée en crise et qui le seront dans la sortie. Annulons les privatisations de ces dernières années dans l’énergie, les transports, les communications, et resocialisons des pans entiers de la Sécurité sociale massacrés hier. Cela n’éliminera pas le marché, mais il sera cantonné. Faisons du climat et de l’environnement des priorités collectives dans lesquelles le marché ne dictera aucune norme. Privilégions les valeurs d’usage non prédatrices de l’environnement et diminuons les autres. Élargissons le domaine des services non-marchands, dont la légitimité est avérée, d’autant plus qu’ils concernent les citoyens au plus près de leur vie et que ceux-ci peuvent les contrôler. En un mot, puisque les capitalistes, à la faveur de leur crise, osent nommer ce qui était innommable, le capitalisme, nommons la voie vers laquelle on peut progressivement s’avancer : le socialisme écologique.

[^2]: Daniel Cohen, le Monde du 3 janvier ; voir .

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