Le cauchemar publicitaire dans la quatrième dimension

L’installation dans le métro parisien d’écrans de publicité « intelligents » équipés d’un capteur de visage et d’un système de transmission de données sans fil à destination des usagers inquiètent les associations.

Xavier Frison  • 2 février 2009 abonné·es
Le cauchemar publicitaire dans la quatrième dimension

Illustration - Le cauchemar publicitaire dans la quatrième dimension

Ca ressemble à un téléphone portable géant du type « iPhone » collé au mur. Dans les couloirs de la station de métro Charles de Gaulle-Etoile, à Paris, le long écran crache d’incessants spots publicitaires à un rythme endiablé. Voiture, montre de luxe, agence de voyage ou promo de films, tout y passe, sous le regard navré d’une trentaine de militants antipub allongés au pied de l’engin. Quatre de ces panneaux à « affichage à cristaux liquide » (ACL) ornent la station, préfigurant les 400 écrans qui doivent bientôt équiper le réseau de métros de la capitale.

Problème, l’innovation technologique dont Metrobus, la régie publicitaire de la RATP, est si fière, constitue une nouvelle « horreur publicitaire nocive pour la santé et la liberté » , selon Résistance à l’agression publicitaire (RAP), Souriez vous êtes filmés , Big brothers awards et Robin des toits . Les associations mobilisées contre les ACL dénoncent en priorité l’atteinte aux libertés publiques et les risques liés à la santé. Le dispositif cache derrière ses parois fumées une caméra, ou « capteur » selon la terminologie de Metrobus, destinée à étudier les réactions des passants aux messages diffusés. A terme, l’activation du système de transmission sans fil Bluetooth permettra d’envoyer des données publicitaires sur les téléphones portables des usagers du métro qui passeront à proximité des écrans, généralisant l’utilisation des ondes sans fil dont la dangerosité est soulignée sans relâche par Robin des toits. Dernier écueil, l’arrivée possible, dans un second temps, de publicités sonores. On imagine sans peine le volume démentiel qu’il faudrait appliquer à ces pubs sonores pour couvrir les bruits du métro aux heures de pointe…

« Nous avons découvert ces nouveaux écrans avec des pubs en boucle comme tout le monde, une fois ceux-ci installés dans le métro , explique Charlotte Nenner, présidente de RAP. Nous estimons qu’il s’agit de vidéosurveillance détournée à des fins commerciales et sommes totalement opposés à l’envoi de contenus publicitaire via Bluetooth. Nous avons donc demandé une concertation avec la RATP et Metrobus et la suspension du dispositif. Les usagers n’ont pas à se faire imposer de nouvelles formes de publicité sans qu’il y ait eu un débat public sur le sujet. Il est encore temps de stopper ça » . Pour Jean-Pierre Petit, de Souriez vous êtes filmés, « la RATP a franchi la ligne jaune. » Et de rappeler que l’association a déjà dû saisir la Cnil pour obliger la RATP à promouvoir son très discret Pass découverte, dépourvu de puce électronique, au contraire de l’intrusif Pass Navigo, qui enregistre électroniquement les déplacements de chaque usager.

Illustration - Le cauchemar publicitaire dans la quatrième dimension

«La technologie sans fil a été abandonnée par l’armée car celle-ci l’estimait trop toxique pour les troupes , rappelle André Bonin, de Robin des toits. Le Bluetooth n’est rien d’autre qu’un wifi avec une intensité un peu moins forte, mais la nocivité de cette technologie n’a jamais vraiment été testée» . Pour une association qui reçoit régulièrement des citoyens touchés par le syndrome de l’hypersensibilité électromagnétique (maux de tête, nausées, perte de mémoire et d’équilibre), le projet de la RATP a de quoi inquiéter. Du côté de Big brother awards, on se dit «pas surpris du projet, saupoudré de discours technoïde bien pensant» . Jérôme Thorel dénonce les « captures déloyales de données personnelles » induite par les ACL de Metrobus : « On nous dit que c’est anonyme mais ce n’est pas le problème. Et rien ne dit que, à terme, on ne puisse pas inviter les usagers, contre une offre commerciale alléchante, à transmettre leurs noms, âge, professions et autres renseignements personnels. »

« La réalité dépasse la fiction » , pour la députée Verts Martine Billard : « Je suis choquée par le comportement de la RATP, dont la vocation première est le transport de personnes, pas la publicité. Le défaut de transparence de la Régie est inadmissible. A nous parlementaires d’interpeller le gouvernement sur cette question. » Pierre Gayral, des Alternatifs, croit « plus dans les mouvements citoyens que dans la classe politique pour empêcher ça » , tout en se disant abasourdi par « une telle dépense d’argent dans des technologies aussi sophistiquées sans que ne se pose une seule seconde la question de l’intérêt social » . Pour contrer la généralisation annoncée du dispositif, qui pourrait, à terme, rejoindre la surface et les rues de Paris, les associations lancent une action en référé. Pour les militants, il s’agit du détournent illégal d’un système de vidéosurveillance à des fins commerciales, ce que la RATP et Metrobus démentent vigoureusement. Tout en confirmant l’installation prochaine des 400 écrans prévus «d’ici la rentrée» , qui seraient équipés d’un «simple système de comptage et en aucun cas d’une collecte d’informations personnelles concernant les voyageurs» . En outre, Metrobus précise que cette génération de mobiliers « ne sont pas équipés pour diffuser du son. » La justice dira si oui ou non les usagers du métro pourront éviter une énième « lobotomisation publicitaire » .

Société
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