Le dossier médical en réanimation

Quelle politique de confidentialité autour des données relatives aux soins ? C’est la question que pose la relance du dossier médical personnalisé, projet non sécurisé et dispendieux qui s’est déjà soldé par un fiasco.

Ingrid Merckx  et  Christine Tréguier  • 19 février 2009 abonné·es

C’est à se demander à quoi ­servent les rapports d’experts. En 2007, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié un avis condamnant la mise en place de la tarification à l’activité à l’hôpital parce qu’elle était inadaptée, entre autres, à la prise en charge « des maladies chroniques, des soins de suite, des soins palliatifs, des personnes âgées ou des enfants malades… » . Or, la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), actuellement en discussion à l’Assemblée, prévoit d’étendre la tarification à l’activité à l’ensemble de la gestion hospitalière.
La même logique semble présider à la relance du dossier médical personnalisé (DMP). Composante de la loi de 2004 sur l’assurance-maladie, le DMP a été pensé comme un instrument accessible par Internet et qui doit, via l’informatisation des données médicales de chaque patient, faciliter « la coordination et les échanges d’information entre les professionnels de santé ».

Illustration - Le dossier médical en réanimation

En juin 2008, Roselyne Bachelot a retiré le caractère obligatoire du DMP… tout en annonçant son extension à l’ensemble du territoire.
Folliot/AFP

Le 12 juin 2008, le CCNE a publié un avis rejetant ce DMP. Motifs : il ne pouvait pas, en l’état, rendre service à la personne, il risquait d’aggraver les coûts de santé publique en temps de pénurie, il ne garantissait pas la sécurité des données enregistrées, il posait des problèmes éthiques relatifs au masquage d’informations et il mettait en danger la relation patient-médecin. Non seulement le DMP pouvait engendrer des dérives sans laisser espérer une quelconque efficacité, mais il allait en outre accroître le déficit de la Sécurité sociale.

Pourquoi ne pas laisser tomber ? Le projet a été expérimenté entre 2005 et 2007 dans 17 sites pilotes répartis dans 13 régions et 100 établissements de santé, sans que l’informatisation du système de santé ait « atteint le niveau quantitatif et qualitatif nécessaire » , d’après le CCNE. Le 18 juin 2008, la ministre a fait mine de prendre en compte l’avis des sages en retirant le caractère obligatoire du DMP, tout en annonçant son extension à l’ensemble du territoire. En janvier 2009, le rapport annuel de la Cour des comptes a dénoncé le ratage du DMP en épinglant les dysfonctionnements de la structure chargée par l’État de gérer le projet. Créé en 2005, le Groupe d’intérêt public du DMP (GIP-DMP) a connu des problèmes financiers, n’était pas de taille, manquait d’expérience… Cette fois encore, au lieu d’abandonner le projet, le ministère en a retiré la conduite à la première entité au profit d’une nouvelle : l’Agence des systèmes d’information de santé partagés (Asip).

Dopé par la loi HPST, le DMP va être relancé d’ici au mois de juin alors même que le fond du débat – quelle politique de confidentialité autour des données de santé ? – n’a pas ­progressé d’un iota.
« C’est toujours le même fantasme de mainmise sur une population, la même dérive de quantification à outrance, soupire Pierre Le Coz, philosophe et rapporteur de l’avis du CCNE. Il faudrait enquêter sur ce qui se passe en Angleterre, où le principe d’un DMP s’étend dans une version hard : on ne demande même pas leur avis aux patients ! » Selon lui, le ministère français n’a cessé de « souffler le chaud et le froid » , renonçant à une application « totalitaire » mais sans renoncer totalement. Au point que plus personne ne sait exactement ce qu’il en est.

Le 23 juin 2008, forte des conclusions du rapport Gagneux pour la relance du projet, Roselyne Bachelot a déclaré « indispensable d’inscrire le DMP dans une stratégie nationale des systèmes d’information de santé ». Ce pourquoi elle a fait fusionner le GIP-DMP, le GIP-CPS (Carte professionnel santé) et le GMSIH (Groupement pour la modernisation du système d’information hospitalier) en une agence unique, l’Asip. Ses deux pilotes, Michel Gagneux (inspecteur général des affaires sociales) et Jean-Yves Robin (médecin, ex-directeur de Santeos, fournisseur de solutions informatiques de santé), n’annonceront leur feuille de route qu’en mars. L’heure est donc aux questionnements.

Tout d’abord, que sont devenues les données collectées entre 2005 et 2007 ? Personne ne sait vraiment. Les hébergeurs ont été dissous quand la phase expérimentale s’est arrêtée. Les informations contenues dans les dossiers ouverts ont-elles bien été détruites ? À la Cnil, qui n’a toujours pas de pôle spécifique santé, Jeanne Bossi, directrice adjointe chargée de la relation avec les usagers, s’inquiète : « Nous attendons les lignes directrices des pouvoirs publics. Des dossiers médicaux partagés, il y en a des centaines, mais nous ignorons ce qui est estampillé DMP. » En effet, des quantités d’informations médicales informatisées circulent déjà entre hôpitaux, hébergeurs, cabinets de ville… Et ce, sans cadre réel. Il y a bien un cadre juridique, la loi de 2004 sur la protection des renseignements sur la santé, mais, pour Pierre Lesteven, représentant de la Fédération hospitalière de France (FHF), « elle pose des principes sans les moyens de son application ».
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Pour preuve, le décret sur la confidentialité des données devait faire l’objet d’un arrêté dans les trois ans. Il n’a toujours pas vu le jour. *« Le fond du problème,
selon Pierre Lesteven, c’est la confiance que les gens peuvent avoir en un nouveau système. Actuellement, chacun fait confiance à son petit système – son médecin de ville, son hôpital –, qui informatise quelques données le concernant. » L’enjeu serait donc : faut-il passer à un système général, et comment ? Selon le représentant de la FHF, il existe un vrai besoin d’échange d’informations entre petits établissements mais aussi entre hôpitaux et médecins de ville : « On a construit notre système sur des échanges de patient à soignant, et de collègue à collègue. Sauf qu’il y a encore dix ans on pouvait être suivi par le même soignant pour un problème de santé. Aujourd’hui, une majorité de patients sont atteints de maladies complexes réclamant une prise en charge sur plusieurs années et l’intervention de plusieurs spécialistes et praticiens. Nous devons changer de système, et les technologies doivent nous y aider. »

Mais, quel pilotage, quelle sécurité et quelle disponibilité pour ce nouveau système ? Le pilotage serait en phase d’amélioration avec la création de l’Asip, dont les dirigeants semblent avoir compris qu’ils devaient en passer par la concertation avec les professionnels concernés. À propos de la sécurité et de la disponibilité, l’outil industriel d’interopérabilité adapté n’existe pas encore, à en croire Pierre Lesteven. S’il n’a jamais été témoin de dérives relatives à des échanges de fichiers, il a pu observer les risques engendrés par une panne informatique bloquant les résultats d’un examen pour déclencher un acte médical, par exemple.
Il y a néanmoins peu de chances, à l’avenir, que le projet DMP persiste sous ce nom tant celui-ci est synonyme de fiasco. Médecin et responsable de l’Observatoire des technologies et des systèmes d’information de santé, Jean-Jacques Fraslin le considère comme *« le plus grand échec de la réforme de l’assurance-maladie de 2004 ».
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