Le punk et le muet

Dans « Camping sauvage », Les Fils de Teuhpu accompagnent
à la fanfare deux films
de Buster Keaton.

Ingrid Merckx  • 26 février 2009 abonné·es

Une scène de Sherlock Junior, de Buster Keaton (1924), le montre bien : le cinéma muet n’a jamais été un art silencieux. Un instrumentiste, si ce n’est un orchestre, accompagnait les séances live. Calant mélopées et tempos sur le déroulé des images. Bon nombre de musiciens ont ainsi débuté dans des salles de projection, dont le violoniste de jazz Stéphane Grappelli. Mais il est vrai qu’il s’agissait alors le plus souvent d’instruments acoustiques, et plutôt à cordes. Comme ce piano dans Sherlock Junior , placé en avant-plan du film, quasi intégré au grand écran.

Sauf que, dans Camping sauvage , un album DVD concocté par la fanfare punk Les Fils de Teuhpu, la partition de piano qui accompagne ce film s’ouvre subitement à des sons électros joyeusement anachroniques, puis une guitare sature et la batterie s’emballe tandis que le projectionniste détective qu’interprète Keaton tente de rentrer dans la toile. Le heurt des styles et des époques venant comme matérialiser le choc des deux dimensions – réel et fiction, film dans le film – de ce moyen-métrage de légende. Les Fils de Teuhpu osent : les excentricités électriques, l’interlude afro, l’interjection en français, la lecture collective des panneaux, les silences… Célébrant les noces du punk et du muet dans la réjouissance.

Intégrant des sons de guitares, cette fanfare très cuivrée, née dans la rue il y a dix ans, soigne l’interaction avec les images, leur rythme bien sûr, mais aussi leur caractère. Dans Sherlock Junior, Les Fils de Teuhpu ­parviennent à souligner, en variant les genres et en intégrant des sons d’ailleurs, la dimension onirique de ce film où un projectionniste se rêve une vie hollywoodienne. Dans One week, un des courts-métrages qui ont lancé Keaton, où un couple de jeunes mariés hérite d’une maison en kit qu’il monte de travers, ils restent dans des compositions plus typiques des fanfares mais en exploitant allègrement les variations rythmiques pour accentuer les élans burlesques et satiriques du film. Ces expériences faisant se rejoindre la musique et le cinéma ont été présentées sous forme de spectacle, les Fils de Buster , avant d’être publiées en DVD. Camping sauvage, c’est aussi un nouvel opus pour les six membres du groupe : François, Rodolphe, Poumtchak, Gésir, Kader et Benjamin. Pas moins de quinze titres où ils croisent les influences rocksteady, funk et ska et dans l’esprit ironique et fêtard qui les caractérise.

Culture
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