Le tao de la décroissance

Serge Latouche  • 26 mars 2009 abonné·es

La « voie », le tao de Lao-Tseu, est plus et moins que l’éthique comme nous l’entendons en Occident. Le tao de la décroissance est un chemin à inventer avec l’aide d’un maître qui n’existe peut-être pas. Gandhi, Thoreau, Dewey, Tolstoi, Illich, Ellul, Castoriadis, Gorz ? Tous ont cheminé sur la voie de la voie. Mais tous ont dit que chacun doit trouver la sienne.
La voie de la décroissance est une ouverture, une invitation à trouver un autre monde possible. Cet autre monde, nous l’appelons la société de la décroissance. L’invitation vaut pour y vivre ici et maintenant, et pas seulement dans un hypothétique futur que, tout souhaitable qu’il soit, nous ne connaîtrons sans doute jamais. Cet autre monde est donc aussi dans celui-ci. Il est aussi en nous. La voie est un autre regard sur ce monde-ci, un autre regard sur nous-mêmes.
La voie de la décroissance est-elle la simplicité volontaire ? Elle est aussi la simplicité volontaire, mais elle ne se résume pas à l’éthique de la sobriété. La voie de la décroissance est-elle la révolution économique et sociale ? Elle est aussi la révolution économique et sociale, mais elle ne se réduit pas à l’éthique de la résistance, de la révolte et de l’insoumission.

L’éthique de la décroissance articule discipline personnelle et engagement au monde. La décroissance est un art de vivre. Un art de vivre bien, en accord avec le monde. Un art de vivre avec art. L’objecteur de croissance est aussi un artiste. Quelqu’un pour qui la jouissance esthétique est une part importante de sa joie de vivre. L’éthique
de la décroissance implique nécessairement une esthétique de la décroissance. Toutefois, l’éthique de la décroissance ne se réduit pas
à une esthétique.
Le retrait du monde et la seule recherche
de la perfection de soi sont une forme de refus de l’être comme l’est l’engagement au monde sans souci de sa propre félicité. La militance pour elle-même est le reflet inversé
de la guerre économique. Toutes deux sont
un oubli de l’être. Au nom du progrès,
ils détruisent la beauté du monde pour construire leur chimère.

La fuite dans le futur, qu’il s’agisse de l’avenir radieux de l’utopie communiste ou de la rédemption dans une transhumanité, est un déni du présent et de l’humaine condition. La décroissance se présente comme un acquiescement à l’être
et donc d’abord à l’être dans ce monde-ci et un témoignage
de gratitude pour le don reçu de la beauté du cosmos.
La voie de la décroissance n’est ni le refus ni l’acceptation
du monde. Elle est et le refus et l’acceptation. Il convient
de refuser le monde (l’immonde) de l’économie de croissance,
et d’accepter la vie comme une joie, selon la formule de William Morris.« [^2] La décroissance sera joyeuse ou ne sera pas.

[^2]: To accept Life itself as a Pleasure », News of nowhere (Nouvelles de nulle part), Aubier bilingue, 2004.

Écologie
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