Obama à l’épreuve

Denis Sieffert  • 21 mai 2009 abonné·es

Que sait-on de Barack Obama ? L’homme le plus filmé du monde, et le plus épié par ses contemporains, a bien laissé paraître quelques traits de sa personnalité. On le sent ouvert aux autres, et spontanément prêt au dialogue. Mais la foire aux apparences nous renseigne peu sur son aptitude à affronter les épreuves. De ce point de vue, chacun s’accorde pour dire que le Proche-Orient aura valeur de test. Il semble sincèrement vouloir avancer dans la voie de la résolution du conflit israélo-palestinien. La matrice de sa pensée est peut-être moins le souci de justice à l’égard d’un peuple spolié de ses terres et de ses droits que l’intelligence des relations géostratégiques et des intérêts américains. Mais, au fond, qu’importe ! Quels qu’en soient les motifs, il semble avoir intégré la notion de centralité de ce conflit, et paraît convaincu que celui-ci a valeur de symbole pour le monde arabo-musulman. Il a donc compris que ce problème est à résoudre avant tout autre pour qui veut sincèrement la paix du monde.

Mais que vaudront ces convictions face au refus israélien ? Nous en savons un tout petit peu plus depuis lundi. Au sortir de sa première rencontre avec Benyamin Nétanyahou, Barack Obama a clairement réaffirmé sa volonté « de parvenir à une solution à deux États » , tandis que son hôte usait de circonlocutions pour évoquer un « arrangement dans lequel Palestiniens et Israéliens vivraient côte à côte dans la dignité, la sécurité et la paix » . Le président américain a également été ferme sur la question de la colonisation, même si la perspective d’un État l’obligera tôt ou tard à se prononcer pour le démantèlement des colonies existantes. Lundi, il n’a pas fléchi. Mais l’affrontement est à venir. Paradoxalement, la véritable difficulté surviendra quand le très droitier gouvernement israélien opérera un tournant quasi inéluctable. Car nous croyons qu’il ne pourra pas tenir longtemps sa position actuelle. L’intelligence des prédécesseurs de M. Nétanyahou, Ariel Sharon en tête, a été de se dire favorable à tous les processus de paix et à tous les États palestiniens. Et c’est toujours à l’abri de cette rhétorique qu’ils ont intensifié la colonisation. Étrangement, la faiblesse du tandem Nétanyahou-Lieberman, c’est aujourd’hui sa franchise. Son refus avoué de toute solution équitable. Ce discours obstiné isole Israël momentanément sur la scène internationale.

Il ne devrait pas être très difficile pour Obama d’être ferme face à ce gouvernement. La difficulté surgira lorsque Nétanyahou reprendra, comme c’est probable, le fil d’une politique qui a fait ses preuves depuis 1991 : celle des deux fers au feu. D’un côté, un processus de paix mené au ralenti, mais médiatiquement survalorisé, et de l’autre, une colonisation accélérée. C’est face à ce dispositif que le président américain devra se montrer intraitable, fixer des échéances, ne pas tolérer la moindre construction supplémentaire en terre palestinienne et, surtout, ne pas se faire balader dans un nouveau « processus ». C’est à cet instant qu’il devra garder le cap, d’autant plus que cette politique israélienne du double langage rend fous ceux qui en sont victimes, et produit des réactions erratiques un peu partout dans le monde. On en saura plus le 4 juin. Ce jour-là, Barack Obama, qui aura reçu entre-temps le président égyptien Moubarak et Mahmoud Abbas, lui-même si faible qu’il est condamné à tout espérer de la Maison Blanche, devrait prononcer au Caire un discours décisif. Pour aller de l’avant, il pourra évidemment s’appuyer sur le plan de paix arabe de 2002, d’inspiration saoudienne mais repris et élargi par le roi Abdallah de Jordanie. On en connaît les contours. C’est un échange : la normalisation des relations d’Israël avec 57 pays du monde qui ne reconnaissent pas aujourd’hui l’État hébreu, contre le retrait israélien des territoires occupés depuis 1967. Tous les pays de la péninsule arabique sont intéressés, comme ceux du Machrek et l’Égypte. Pour au moins deux raisons. Il en va en partie de la paix civile tant la question palestinienne est sensible au sein des peuples. Il en va surtout d’un équilibre menacé par l’Iran.

Peu importe en l’occurrence la sincérité des dirigeants iraniens ; ils ont compris en tout cas que le leadership régional se jouait en partie dans l’instrumentalisation de la question palestinienne. Et c’est ici que l’intérêt bien senti des États-Unis rejoint celui des pays arabes. Priver progressivement l’Iran de l’argument palestinien permettrait de créer les meilleures conditions pour aborder la question du nucléaire iranien. Dans ce dispositif, Israël fait figure de chien fou. Soit, comme nous le pressentons, l’actuel gouvernement se « normalise » et reprend la tactique décrite plus haut ; celle du double langage – assurément la plus difficile à contrer pour le président américain –, soit il s’engage dans une fuite en avant aux conséquences incalculables. L’air de rien, Benyamin Nétanyahou en a brandi la menace, lundi, en déclarant à sa sortie de la Maison Blanche qu’Israël se « réserve le droit de se défendre face à l’Iran ». On sait ce que « se défendre » veut dire dans la logomachie israélienne… Mais, là encore, Barack Obama a refusé de se laisser imposer un calendrier va-t-en-guerre contre l’Iran. Sur cette question aussi nous en saurons davantage le 4 juin. Hasard qui n’en est pas un, nous serons alors à huit jours de l’élection présidentielle iranienne.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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