L’agité du bocal

Avec « Panique au Mangin Palace », chaque week-end, Philippe Collin assure un décryptage
de l’actualité dans
un apparent bazar radiophonique.

Jean-Claude Renard  • 18 juin 2009 abonné·es

Nom : Mangin. Statut : palace. Nature : émission radiophonique en transe de panique, réalisée par un agité du bocal, Philippe Collin. Officiellement, ce rendez-vous dominical, depuis quatre ans déjà, « rend l’actualité plus drôle. Grâce aux archives de l’INA, aux extraits de films, aux chansons et à quelques témoignages, il joue avec notre mémoire collective et individuelle pour raconter à sa façon avec l’humour et l’enthousiasme qui le caractérisent » . Bienvenue, donc, dans « ce monde archiloufoque et total foutraque, où l’élégance se mélange au n’importe nawak, le tout dans une farandole de volutes sonores orchestrée par une bande de doux dingues ».

En réalité, « Panique au Mangin Palace », qui doit son nom à l’avenue hébergeant les studios de France Inter, à deux pas de la Maison ronde, est une entreprise d’acrobate, déclinée sur un fil tendu pour funambules dans une atmosphère clownesque, diffusée en direct, montage calibré au millimètre, taillé comme un carpaccio. Autour de Collin, « les doigts dans la prise » , cinq bougres d’ânes et d’andouilles : Flora Bernard, Xavier Mauduit, Julien Dugast, Olivier Le Failler, Henri-Marc Mutel. Soit six péquins (mais probablement un seul gus recensé par la police). Polyphonique, le « Mangin Palace » donne sa lecture du monde dans une version absurde, héritée peut-être d’un Brazil de Terry Gilliam, une mosaïque crissant de ricochets, de champs et de contre-champs, de parenthèses poético-burlesques, de fausses digressions, de rumeurs en branle et de courants d’air. Le poids des mots, le choc des citations.

Dans la brinquebale des archives, se bousculent les Tontons flingueurs, Bernard L’hermite, Jean-Pierre Marielle, Pierre Dac, le « Service après-vente » d’Omar et Fred, les Guignols, un plein paquet d’extraits de films et les tribulations, à Gros-Boules-les-Bains, de piètres ordinaires personnages ringardisés joliment, Monique et Jean-Claude. Au gré des épisodes, le Mangin requinque encore l’ORTF, convoque Galilée et Satan, Jean Yanne et les partitions de Nino Rota. Une Babylone d’archives pour un tour d’horizon déjanté, exubérant. Et à la moindre incartade du premier cave défaillant sur la pente fatale, il y a toujours un Raoul Volfoni pour corriger le tir. « Moi, les dingues, je les soigne. J’vais lui faire une ordonnance ! Et une sévère ! J’vais lui montrer qui c’est Raoul ! Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé façon puzzle ! Quand on m’en fait trop, je correctionne plus, je dynamite, je disperse, je ventile ! »

Philippe Collin joue sur les saveurs et la texture des mots, croise, entrechoque aphorismes et sentences endossant le rôle d’émissaires. Le Mangin superpose, additionne, se fait exercice de comptabilité avant de fermer son kiosque par une revue de presse. Tout cela serait bien sympathique, divertissant dans un vrac ordonné, si Philippe Collin n’avait pas rehaussé le propos et insufflé du sens dans les cuisines de son Palace. Il y a le discours et ce qu’il y a derrière, qui vient, revient, accoste. Collin cingle, martèle, assène, en petites touches expressionnistes, l’essentiel surgissant au bout du micro dans l’archive implacable. Le Mangin est un prétexte, le filtre pour laisser entendre, donner à (ré)écouter ce qui circule trop vite dans la semaine, une information balayant l’autre. Les massacres en Palestine « malgré l’intervention de Pollux et Zébulon » , le come-back de Chirac au « saloon » de l’agriculture, Berlusconi, « vieux ringard populiste, guignol milanais » et son embarras sur les minettes dénudées, les milliards distribués aux actionnaires du CAC 40, l’insubmersible General Motors… De quoi être fichtrement décontenancé, éclairé aussi.
Depuis la rentrée dernière, la même équipe d’histrions cultivés, qui n’a rien d’autre à foutre que perturber les ondes, serrant la glotte des auditeurs ahuris, s’est rajoutée une ligne (de démarcation), le samedi, avec un nouveau lieu : le ministère psychique, « une cellule d’investigation gouvernementale » . Un ministère taquiné par aussi la panique, enregistré dans les conditions du direct, et conduit comme son aînée par un montage savamment dosé, au poil et ludique. Ont franchi son seuil et sont passés au laminoir Duras, Céline, Voltaire, James Bond et Kurt Cobain. Un laboratoire expérimental du « Mangin » qui s’ouvre sur la formule de Michel Foucault : « La folie, au fond, n’existe jamais à l’état de nature, elle n’existe jamais seule. Il n’y a de folie que parce qu’il y a une non-folie. » « C’est votre dernier mot ? », demande un Jean-Pierre Foucault extirpé d’un « Qui veut gagner des millions ? ». Ça donne le ton.

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