Le RSA, un pas de plus vers la précarité

Le Revenu de solidarité active est entré en vigueur sur tout le territoire le 1er juin. Mais, loin de réduire la pauvreté, le dispositif risque au contraire de contribuer à une fragilisation de la société tout entière.

Eva Delattre  • 4 juin 2009 abonné·es
Le RSA, un pas de plus vers la précarité

C’est avec tambours et trompettes que le Revenu de solidarité active (RSA) est entré en vigueur ce 1er juin. En ces temps de crise, la mise en œuvre de l’unique mesure « sociale » du quinquennat ne devait surtout pas passer inaperçue. Martin Hirsch, désigné par Nicolas Sarkozy comme le « gardien » de sa promesse de réduire d’un tiers le taux de pauvreté en France, avait pourtant prévenu : « Nous n’avons jamais prétendu que le RSA était [la] solution miracle […] contre la pauvreté. » Il ne croyait pas si bien dire. Car le dispositif concocté par le haut-commissaire, et qui remplace désormais le RMI et l’allocation parent isolé (API), a toutes les chances d’être un coup d’épée dans l’eau pour les quelque 4 millions de ménages concernés. Pis, s’il est censé sortir de l’indigence les travailleurs pauvres, il pourrait paradoxalement conduire à paupériser la société tout entière.

Premier constat : avec le RSA, les pauvres resteront… pauvres. Les personnes jugées inaptes [^2] au travail devront ainsi se contenter d’un revenu minimum de quelque 400 euros par mois.
Le sort des ex-allocataires de minima sociaux reprenant un emploi et des travailleurs gagnant moins de 880 euros par mois ne sera guère plus enviable : les 1,5 milliard d’euros mis sur la table pour financer le complément de salaire apparaissent ainsi très insuffisants pour assurer une réelle augmentation de leur pouvoir d’achat. «  Si l’on compte la suppression totale ou partielle de la prime pour l’emploi, la suppression de la prime de Noël, la mise sous condition de ressources des aides connexes, ces ménages devraient gagner en moyenne 70 euros de plus par mois, estime Denis Clerc, économiste et journaliste à Alternatives économiques. Ce n’est pas négligeable quand on gagne 600 euros mensuels. » Pas la panacée non plus…

Plus inquiétant, ce maigre apport financier visant à compléter les salaires insuffisants pourrait entraîner des effets pervers. Cette fois, d’une importance considérable. « Même modeste, le cumul des revenus aura un effet positif sur un plan individuel, observe le sociologue Nicolas Duvoux [^3]. Mais en améliorant la situation des bas revenus, on risque d’ouvrir les vannes au développement de la dépendance sur le long terme et à un accroissement du recours au temps partiel. » Autrement dit, ce principe « d’intéressement » pérenne financé par le contribuable agirait comme une subvention au travail non rémunérateur. Comme un encouragement au « mauvais » emploi ne permettant pas, à lui seul, d’assurer l’autonomie des travailleurs. Des travailleurs qui seront, eux, obligés de l’accepter.

Le RSA repose en effet sur la logique des « droits et devoirs » chère à l’idéologie libérale. Partant du présupposé que les allocataires de minima sociaux ne veulent pas travailler (par fainéantise ou par calcul rationnel), le dispositif oblige les ex-RMistes et ex-APistes jugés « capables » de travailler, à accepter n’importe quel emploi. Sinon ? Le versement sera tout ­bonnement suspendu. « Les anciens RMistes et les femmes élevant seules leurs enfants [la grande majorité des allocataires de l’API, NDLR] devront s’inscrire dans des parcours de formation ou de retour à l’emploi, explique Évelyne Perrin, d’Agir contre le chômage (AC !). Mais, vu le contexte de crise, ce sont des miettes d’emploi qu’ils vont avoir. » Voire pas d’emploi du tout : « Les gens seront incités à chercher du travail quand il n’y en a pas. Ce qui annonce de grandes souffrances, chez les allocataires mais aussi chez les agents de l’emploi » , relève ainsi ­Sylvette Uzan-Chomat, syndicaliste au SNU-Pôle emploi.

Mais la conjugaison de l’obligation au travail et du complément de revenu (ce dernier assurant une certaine paix sociale malgré l’esprit coercitif du dispositif) aura des conséquences bien au-delà des seuls allocataires du RSA. Les entreprises pourraient ainsi profiter de ce nouveau précariat pour tirer l’ensemble des salaires vers le bas. Et flexi­biliser encore davantage la main-d’œuvre. Anne-Marie Meynard, syndicaliste CGT à la Caisse d’allocations familiales de Marseille (l’un de territoires de l’expérimentation du RSA), raconte : « L’entreprise de nettoyage Adoma n’a pas hésité à licencier des salariés touchant un peu plus que le Smic pour les remplacer par des allocataires du RSA qui touchent 600 à 700 euros par mois. Le secteur des aides à domicile envisage de procéder au non-renouvellement de CDD pour recruter des RSA. »
« Il faudrait agir en même temps sur le marché de l’emploi pour pouvoir pénaliser les entreprises qui utilisent le travail précaire » , objecte Denis Clerc. C’est peut-être par là qu’il aurait fallu commencer.

[^2]: C’est un travailleur social qui jugera si la personne est capable, ou non, de travailler.

[^3]: Coauteur avec Serge Paugam de la Régulation des pauvres, PUF, 2008.

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