L’Europe contre les immigrés

L’historien Olivier Le Cour Grandmaison* dénonce
un durcissement
de la politique européenne d’immigration.

Olivier Le Cour Grandmaison  • 25 juin 2009 abonné·es

En France, la campagne des européennes vient de s’achever dans une indifférence certaine ; l’abstention en témoigne. Alors que l’UMP, conformément à sa stratégie destinée à fidéliser les électeurs venus du Front national et à mobiliser ses propres troupes, exploitait sans vergogne les thèmes de la sécurité et de l’immigration, les gauches, toutes tendances confondues, sont demeurées très discrètes sur la politique conduite par l’Europe en ce dernier domaine. Pourtant, ceux qui affirment lutter contre les orientations du gouvernement français auraient dû se saisir de ces élections pour prolonger ce combat au niveau européen car il y a fort à faire. Rappelons-nous. Le 18 juin 2008, le Parlement de Strasbourg votait la directive « Retour », qui porte la durée de la rétention des étrangers en situation irrégulière à dix-huit mois. De plus, ce texte prévoit la possibilité d’interdire aux expulsés de séjourner sur le territoire des États de l’UE pendant cinq ans. Banalisation, extension et triomphe de la double peine qui, théoriquement abolie en France, devient une mesure communautaire très critiquée à l’étranger. En témoigne la déclaration du président bolivien, Evo Morales, qui a demandé le rejet de cette directive contraire à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui établit que « toute personne a le droit de circuler librement, […] de quitter tout pays, y compris le sien ». De plus, une note officielle du gouvernement chilien estime que «  ce nouveau texte » européen « soumet » les migrants «  à des procédures qui peuvent violer leurs droits élémentaires et empêcher le regroupement familial ». Mêmes réactions au Brésil et en Argentine, où la directive de l’UE a été jugée attentatoire aux « droits humains fondamentaux ».

Alors que le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a demandé aux États de «  ne recourir à la mise en détention des demandeurs d’asile et des immigrants clandestins qu’en dernier ressort » , on constate que la pratique aujourd’hui dominante de l’Europe fait de l’exception la règle cependant que les camps de rétention, au nombre de 224, se multiplient sur le Vieux Continent. Des phénomènes identiques existent dans plusieurs pays limitrophes ou plus lointains comme la Libye, par exemple, bien connue pour respecter scrupuleusement les droits fondamentaux en général, ceux des immigrés et des demandeurs d’asile en particulier, puisque cet État n’est même pas signataire de la Convention de Genève sur les réfugiés. Qu’importe : les intérêts géopolitiques, économiques et financiers, et la chasse aux illégaux, désormais organisée des deux côtés de la Méditerranée, l’emportent sur toute autre considération, et le colonel Kadhafi est promu partenaire privilégié de cette lutte contre les « clandestins ».

Outre la directive précitée, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme s’est aussi distinguée dans un jugement – Affaire N contre Royaume-Uni – rendu le 27 mai 2008. Saisie par une ressortissante ougandaise, atteinte du sida et résidant de façon irrégulière en Grande-Bretagne, la Cour a estimé « que l’espérance de vie de la requérante aurait à pâtir de son expulsion vers l’Ouganda mais que cela n’était pas incompatible avec l’article 3 de la Convention » de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Conséquence pratique de cette appréciation : cette femme peut être renvoyée de force alors que deux médecins britanniques ont établi, dans des rapports connus des juges, que si elle est contrainte de rentrer dans son pays « elle pourra espérer vivre non plus quelques décennies dans de bonnes conditions mais presque sûrement moins de deux ans ». La majorité des membres de la Cour européenne sont passés outre, et pour justifier leur arrêt, ils ont ajouté cet argument délicat : les États n’ont pas à fournir « des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer » sur leur territoire. « Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde sur les États contractants. » Entre l’équilibre des finances publiques, supposé compromis par la présence d’allochtones gravement malades, et les principes élémentaires d’humanité, les juges ont tranché dans le sens que l’on sait. Cet arrêt ignominieux confirme que l’Union se construit désormais ouvertement contre les étrangers, y compris les plus vulnérables d’entre eux. Sinistre involution que soutiennent les politiques xénophobes de plusieurs États européens qui ont fait de la traque et de l’expulsion des sans-papiers une priorité nationale. Que comptent faire les élus socialistes, Verts et communistes à Strasbourg pour défendre les droits de ces nouveaux parias ? Il est impératif qu’ils le fassent savoir au plus vite.

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