Post-matérialisme…

Denis Sieffert  • 9 juillet 2009 abonné·es

Une fois de plus, ces jours-ci, le Parti socialiste se penche sur son avenir. Séminaire à Marcoussis, haut lieu du rugby, et interview de Martine Aubry dans le Monde. Il s’agit, nous dit-on, de se préparer « mentalement, moralement et idéologiquement  » à lancer un projet pour 2012. Mais à lire le programme de cette journée de conclave, et à entendre Martine Aubry, on est pris d’un doute : et si, pour la première fois depuis la Libération, la social-démocratie française était sérieusement menacée de disparition ? Et si, pour la première fois depuis vingt ans, son hégémonie au sein de la gauche était à tout le moins en péril ? Ce n’est pas tant le résultat des récentes élections européennes qui pousse à s’interroger sur l’avenir du PS, que la confusion du discours. Nous savons que les européennes ne sont jamais un test décisif. Et puis des échecs électoraux, les socialistes en ont connus et, de ce point de vue, les leçons de l’histoire doivent nous inciter à la prudence. Qui ne se souvient qu’à la présidentielle de 1969 le ticket Defferre-Mendès France, soutenu par la vieille SFIO, n’avait recueilli qu’un peu plus de 5 % des suffrages ? Mais, à l’époque, le salut était à gauche. Le communiste Jacques Duclos obtenait 21 %, et l’ombre de François Mitterrand se profilait, avec un discours de « rupture avec le capitalisme » que n’aurait pas désavoué Olivier Besancenot. Aujourd’hui, on a nettement l’impression que l’échappatoire pour le PS est à droite. À l’italienne, c’est-à-dire par dissolution dans un parti démocrate centriste dépourvu de toute référence sociale.

La sortie vers la droite permettrait sûrement de refonder une écurie pour présidentiables au sein de laquelle quelques-uns des socialistes actuels vivraient leur destin sans regret, et en harmonie avec leurs convictions. Mais ce ne serait plus la social-démocratie. Celle-ci paraît trop engluée dans son engagement néolibéral, et depuis trop longtemps, pour que l’espoir soit encore permis. Notre sentiment est conforté par le dernier gadget présenté samedi par Martine Aubry dans un entretien au Monde. La première secrétaire assigne à son parti, dit-elle, l’ambition d’« inventer le post-matérialisme » . Qu’est-ce donc ? Une fois de plus, un slogan du PS fleure bon l’officine de communication. Ou la théorie de pacotille. À moins qu’il ne s’agisse de la récupération d’un certain discours sociologique des années 1970 qui prédisait le renoncement de revendications économiques au profit de demandes identitaires. Cela pouvait faire illusion dans des cénacles des Trente Glorieuses (encore que ces années n’ont pas été glorieuses pour tout le monde !), mais qu’est-ce à dire au cœur de la crise actuelle ? Les militants, le peuple n’ont que faire d’un « concept » qui sonne creux, et qui va rendre un peu plus incompréhensible encore le discours du PS. Un parti qui a si longtemps baigné dans la culture marxiste ne devrait pas faire un tel contresens sur le mot matérialisme. Est-ce parce qu’elle a renoué avec Ségolène Royal, comme elle l’affirme dans le même entretien, que Martine Aubry emploie « matérialisme » dans l’acception que lui donne Benoît XVI ? Comprendre « cupide », « mesquin », « intéressé par l’argent », et inapte à accéder aux choses de l’esprit. C’est un peu prendre notre camarade Démocrite pour un imbécile. Et c’est surtout se méprendre sur la fonction d’un Parti socialiste qui aurait pour mission de faire la morale aux pauvres soupçonnés de « trop vouloir ».

Martine Aubry propose que l’on s’intéresse au « bien-être et au bien-vivre ensemble, et pas simplement au bien-avoir » . Étrange opposition entre le « bien-être » et le « bien-avoir » dans une société aussi profondément inégalitaire que la nôtre. A-t-on besoin de suggérer, quand on est le Parti socialiste, que le peuple veut « trop avoir » ? Qui donc veut trop avoir ? A priori, pas ceux à qui devrait s’adresser le Parti socialiste. Mais les autres, les trop riches, les trop payés, les trop gourmands, les nantis, qu’il faut sermonner et combattre, et à qui il faut inculquer des valeurs morales. Ceux-là ne constituent pas, semble-t-il, la base d’un parti de gauche. Libre à chacun d’être plus ou moins pour « l’innovation, la création, la mobilité », encore que ces mots, de vertueuse apparence – et dont Martine Aubry fait l’éloge –, sont aussi ceux qui accompagnent trop souvent les contre-réformes libérales. On peut ne pas être hostile à l’innovation et se méfier du sens que la politique donne à ce mot aujourd’hui. Et le raisonnement vaut encore bien davantage pour la mobilité. Plutôt que de se référer à ce vocabulaire, la principale responsable du PS ferait mieux d’être claire sur la question des retraites. Mais, évidemment, le petit retraité qui n’est pas encore post-matérialiste n’arrive guère à distinguer son « bien-être » de son « bien-avoir ». Regrettons aussi que, dans le même entretien, Martine Aubry resserve quelques trop vieilles lunes sur l’écologie perçue comme un « néonaturalisme » et un repli sur la tradition, les tribus (ce sont bien les termes qu’elle emploie), les communautés. C’est là un discours polémique d’il y a vingt ou trente ans !

C’est donc peu dire que nous ne trouvons pas ici la moindre raison de croire à une résurrection du PS, en tant que parti de gauche authentique. Ce qui est, en réalité, bien plus alarmant qu’une élection ratée. Encore que ceci peut expliquer cela. Mais la vie et la mort des partis politiques ne dépendent pas seulement de phénomènes endogènes. C’est aussi dépendant des offres politiques concurrentes. Une chose est certaine, le « post-matérialisme » que nous sert le PS ne devrait guère lui permettre de résister si deux vraies offres continuent de prendre corps, à gauche de la gauche, comme cela semble se dessiner, et du côté de l’écologie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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