Précautions

Bernard Langlois  • 3 septembre 2009 abonné·es

Prophylaxie

Le problème, avec ce principe de précaution (désormais inscrit dans la Constitution) mis à toutes les sauces – de l’interdiction des antennes-relais pour téléphones aux gilets fluo obligatoires en passant par les alertes météo, les tracasseries administratives sur les huîtres ou les moules, ou les fromages à pâte molle, et que sais-je encore ? Est-il un seul compartiment de la vie de chacun qui ne soit bardé de réglementations plus ou moins contraignantes ? –, le problème est qu’on ne sait jamais, par définition, si la précaution a été utile ou pas.
Par exemple : fallait-il sacrifier tant de troupeaux bovins à la menace d’une épizootie d’encéphalopathie spongiforme pour quelques cas isolés de cette maladie dite de la vache folle ? Et cette précaution appliquée à grande échelle a-t-elle efficacement enrayé le mal et surtout empêché la multiplication, par transmission alimentaire, des cas humains de maladie dégénérative de type Creutzfeldt-Jakob ? Ou s’est-on affolé pour pas grand-chose, au grand dam des éleveurs et pour le malheur de toute une filière ( idem pour la grippe aviaire) ?
Ainsi de cette grippe en vedette aujourd’hui qui fut d’abord mexicaine et porcine avant d’être rebaptisée de façon plus neutre et politiquement correcte : grippe A, porteuse du virus H1N1.

C’est peu de dire qu’on nous en fait tout un plat. La télé nous assomme de recommandations quotidiennes, nous apprend comment se laver les mains et nous enjoint de tousser dans nos manches (pourquoi pas aussi se moucher du coude, hein ?). On menace de fermer écoles, bureaux et usines au moindre éternuement, il sera bientôt interdit de faire la bise à la Fanny, les rugbymen vont sûrement devoir renoncer à leurs mêlées viriles, le masque deviendra sous peu obligatoire ; et je parie que les femmes qui portent la burqa ou le niqab seront bientôt données en exemple pour leur comportement citoyen… Toutes ces mesures prophylactiques en attendant le jour J. Ou plutôt le jour V, comme vaccin, que nous serons vivement conviés à ingurgiter, voire obligés de. Tout ça pour rien ? Va savoir ! Instruits par l’affaire du sang contaminé ou, de façon moins grave, par celle de la canicule, nos politiques préfèrent désormais une précaution inutile au risque d’être accusés d’insouciance criminelle, on les comprend.
Si la pandémie est étouffée dans l’œuf, que faudra-t-il conclure ? Que c’est grâce à toutes ces protections sagement mises en place par notre précautionneux gouvernement ? Ou que la terrible grippe A n’était rien qu’une grippette ordinaire qui ne valait pas tout ce tintouin ?

Controverses

Il ne faut donc pas s’étonner si l’hypothèse d’une pandémie meurtrière et la mobilisation (l’agitation ?) qu’elle génère donnent lieu à de multiples controverses, réfutations, mises en garde et accusations diverses.
Certaines relèvent certes de l’aversion constante pour les vaccinations en général, d’autres encore seront jugées comme significatives de la théorie du complot [[Voir les accusations d’une journaliste scientifique autrichienne qui prévient que « que le plus grand crime de l’histoire de l’humanité est en marche ». Jane Burgermeister a récemment déposé une plainte contre l’OMS, l’ONU, Barack Obama, David de Rothschild, David Rockefeller George Soros, Werner Faymann (Chancelier d’Autriche), entre autres, les accusant de vouloir commettre un génocide de masse. Voir : .
Sa thèse reprend en partie le thème du roman de Susan George, le Rapport Lugano (Fayard 2000), où des experts chargés d’étudier la façon de lutter contre la surpopulation préconisaient les guerres, les famines, les épidémies. Mais c’était un roman…]] Quoique… Mais il en est qui, moins radicales, ressortissent d’observations singulières, souvent liées aux affinités et accointances inavouées entre autorités médicales et politiques et laboratoires pharmaceutiques. Par exemple, relevée par der Spiegel , l’étrange façon dont la direction de l’OMS gère toute cette affaire, jusqu’à avoir modifié sa définition de la pandémie pour la rendre applicable à la grippe A ; ou encore, le fait que la mobilisation médiatique des populations soit très différente d’un pays à l’autre, selon que ces pays sont producteurs de vaccins (États-Unis, France) ou non (Espagne). Observations souvent renforcées par des avis d’experts, sommités médicales (en France, entre autres, le professeur Debré), virologues reconnus, qui mettent en garde contre une vaccination sans objet réel, ou contre la dangerosité possible de certains antiviraux qui font actuellement florès, comme le célèbre Tamiflu ; et, si elle peut aussi s’expliquer par le principe de précaution, l’annonce de la garantie d’immunité pénale accordée par la ministre américaine de la Santé (le 25 juin dernier) aux fabricants des antiviraux en question et aux labos qui fabriquent et s’apprêtent à commercialiser les vaccins contre la grippe A n’a rien qui puisse rassurer…
Nous autres, pauvres ignares, regardons passer les balles. Tiens, ça me rappelle la célèbre querelle qui avait jadis opposé deux scientifiques français – Claude Allègre et Haroun Tazieff – à propos des risques d’éruption du volcan de La Soufrière [^2] à la Guadeloupe. Faut-il évacuer ou pas ?

La Rochelle

Les filles de La Rochelle ne se sont pas crêpé le chignon. Martine et Ségolène n’en sont sans doute pas encore à passer des vacances ensemble, mais enfin, elles ont su mettre un mouchoir sur leurs querelles de préséance. Faut dire que le PS est dans un tel état, avec ses « quadras » en ébullition, qu’il n’est pas besoin d’en rajouter.
Mieux : la Première secrétaire a, de l’avis général, plutôt bien joué le coup en acceptant le principe des primaires assorti d’un référendum militant dès l’ouverture de l’université d’été. D’une certaine façon, elle aussi a appliqué le principe de précaution et coupé l’herbe sous le pied des impatients : difficile aux Montebourg, Valls, Peillon et cie de faire de la surenchère – surtout qu’en liant le processus de choix d’un candidat (à la présidentielle) à d’autres réformes populaires parmi les militants (sinon chez les notables) comme le non-cumul des mandats, elle se donne l’image de la vertu. Il y aura donc des primaires pour désigner le candidat de la gauche. De toute la gauche ? Rien de moins sûr ! Ni le PC, ni le NPA, ni le PG de Mélenchon ne semble partant ; quant aux Verts, ils posent des conditions qui les conduiront probablement à faire bande à part. Restent, comme devant, les solfériniens tout seuls (avec peut-être leur appendice radical, et Chevènement ?). Quelle différence avec la fois dernière ? Eh bien, ne voteront pas les seuls militants encartés (même si Hollande n’est pas d’accord, il devra bien se rallier), mais les sympathisants, tous ceux qui souhaiteront se déclarer tels. On se rapproche donc d’un système à l’américaine.
En général, ça ne tire pas le vote vers la gauche…

Mythe.

Et pourtant : l’élection d’Obama, hein ! Comme on sait, cet homme sympathique, charismatique, version coloured du mythe kennedien (pas un hasard si Ted le soutenait, paix à ses cendres !), vient de passer un été difficile. Finie, la lune de miel.
Perso, je n’ai jamais cru qu’il changerait le système américain en profondeur ; trop vérolé (le système). Le voudrait-il, du reste, que je ne donnerais pas cher de sa peau. Je suis toujours surpris du peu de cas qu’on fait des avertissements que des hommes politiques (américains) de tout premier plan ont lancés, il y a des années, pour mettre le peuple en garde contre ce qu’il faut bien appeler une forme de dictature. Je pense au discours de fin de mandat d’Eisenhower, dénonçant le lobby militaro-industriel ; mais que dites-vous encore de ceci, que j’ai trouvé en naviguant sur le Net ? C’est le président Thomas Jefferson qui parle (et c’est moi qui traduis, j’espère sans faute majeure, vous pouvez-vous reporter à la VO) : « Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés que des forces armées permanentes [« standing armies »]. Si le peuple américain permet un jour aux banques privées de contrôler le sort de sa monnaie, d’abord par l’inflation, puis par la déflation, les banques et les sociétés qui vont prospérer autour d’elles vont le priver de tout bien propre jusqu’au point où ses enfants se retrouveront sans abri sur le continent conquis par leurs pères  [^3]. »
À mettre en rapport avec les images de ces foules de Los Angeles, ces jours derniers, faisant la queue dans l’espoir de recevoir des soins gratuits…

Qui signe ?

Je vais, sans abuser du droit de citation, laisser la parole à bien plus talentueux que moi. Un confrère qui n’est plus de ce monde, mais dont les lignes qui suivent disent assez que ce n’est pas d’hier que l’on peut avoir quelque doute sur l’évolution des pratiques syndicales et l’efficacité d’un syndicalisme soi-disant responsable. Je vous révélerai la semaine prochaine qui signe cet article et dans quel journal. (Si vous avez une idée, soumettez-la nous sur le site du journal, exclusivement pour que tous en profitent, dans l’espace « commentaire » en bas de ce bloc-notes), le premier qui trouve gagne… ma considération :
« Il était une fois trois lettres, trois petites lettres de l’alphabet, pas plus. Trois petites lettres qui, partant du principe que l’union fait la force, se réunissent à la fin du siècle dernier. Au grand bonheur des exploités, lesquels en conçoivent un immense espoir. Au grand effroi du patronat qui, dans la crainte de perdre ses prérogatives, tombe aux genoux du ministre de l’Intérieur en le suppliant de perfectionner la machine policière.  […] Mais la politique veille. Elle n’a pas désespéré de mettre sa main malpropre sur les trois petites lettres dont la pureté devient choquante. Et son opiniâtreté se voit bientôt couronnée. En 1914, la CGT accepte l’idée de l’union sacrée. C’en est fait de son idéal. Chaque jour qui passe l’enfonce de plus en plus dans la lie.  […] Si bien que la Confédération générale du travail, qui avait été à l’origine un organisme destiné à endiguer les exigences du patronat au profit de la classe ouvrière, devient bientôt l’organisme chargé d’endiguer les exigences légitimes de la classe ouvrière au profit du patronat.  […] Il était une fois trois lettres, trois petites lettres bien pures… Mais le temps a passé et avec lui la pureté. Aussi les ouvriers doivent-ils se persuader que ces lettres fameuses ne méritent rien d’autre que les cinq non moins fameuses avec lesquelles Cambronne fabriqua le célèbre mot. »
Un peu excessif, peut-être ? Mais pas mal envoyé, non ?

[^2]: En 1976, La Soufrière entre en ébullition. Allègre (directeur de l’Institut de physique du globe) préconise l’évacuation de 30 000 personnes. Le vulcanologue Tazieff, bien moins titré, juge que le danger est nul. Pas d’évacuation, donc ; et pas d’éruption non plus, Tazieff avait raison. Aujourd’hui, nul doute qu’on évacuerait.

[^3]: Citation d’un discours de 1802 trouvée sur le blog du chargé de cours, scénariste et réalisateur belge Yves Lespagnard () par le truchement de la liste de discussion d’Attac (merci à Alain Mouetaux).

Edito Bernard Langlois
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