Guinée : Après la tuerie

Après les massacres commis par la junte, l’opposition en appelle à la communauté internationale.

Alain Lormon  • 15 octobre 2009 abonné·es
Guinée : Après la tuerie
© Erratum. Toutes nos excuses à Thierry Coville, dont nous avons mal orthographié le nom dans le numéro de la semaine dernière (Politis n° 1071). Chercheur associé à l’Iris, Thierry Coville, qui répondait à nos questions sur l’Iran, est l’auteur d’Iran, la révolution invisible (La Découverte, 2007).

La France et les États-Unis ont officiellement demandé dimanche une « commission internationale d’enquête » sur le massacre d’opposants guinéens, le 28 septembre, dans le stade de Conakry. Selon l’Organisation guinéenne des droits de l’homme, 157 personnes ont été tuées et 1 200 autres blessées par les forces de sécurité venues disperser le rassemblement pacifique de l’opposition. Si on ne peut qu’approuver cette demande de commission d’enquête, on peut aussi observer qu’elle ne peut guère révéler que ce que tout le monde sait déjà.

Ce ne sont pas des bandes parallèles ou de mystérieuses milices qui ont perpétré le massacre, mais bien les forces de sécurité et la garde présidentielle, qui répondent directement aux ordres du chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara. Selon des témoignages d’opposants, l’opération aurait même été menée par le propre aide de camp de Dadis Camara. Le mouvement social de Guinée, qui a appelé la population à deux jours « d’hommage, de compassion et de recueillement » , lundi et mardi, à travers tout le pays, en appelle « à la communauté nationale et internationale » « pour mettre la pression nécessaire sur la junte militaire afin que les coupables soient arrêtés et traduits devant la cour pénale ». Il est à craindre qu’une commission internationale ne permette surtout à la junte de gagner du temps. Par ce massacre, le capitaine Dadis Camara, qui s’était autoproclamé président en décembre 2008 après la mort du président Lansana Conté, a sans doute voulu semer la terreur et décapiter l’opposition, trois mois avant l’élection présidentielle.

L’opposition menait campagne pour empêcher Dadis Camara de se présenter au scrutin du mois de janvier. L’ancienne Guinée française (dite aussi « Guinée-Conakry » pour la distinguer de la Guinée-Bissau) n’a guère connu de répit démocratique depuis son accession à l’indépendance en 1958, sous l’impulsion du dirigeant syndicaliste Sékou Touré. Après s’être tourné vers l’Union soviétique, le régime favorisera l’entrée de firmes américaines qui exploiteront un sous-sol riche en bauxite. Sékou Touré, s’appuyant sur un parti unique, le Parti démocratique de Guinée, met en place une économie de type soviétique qu’il infléchira quelque peu au cours des dernières années. À partir de 1968, il fait régner la terreur, provoquant la fuite de nombre de ses opposants, ouvrant des camps de concentration et pratiquant massivement la torture. Sékou Touré n’en finit pas d’instrumentaliser la peur d’un retour de la France, l’ancien pays colonisateur déchu et chassé brutalement alors que de Gaulle espérait la mise en place d’une « communauté franco-africaine » qui aurait préservé les positions économiques de la France. À la mort de Sékou Touré, en 1984, l’armée prend le pouvoir. Son chef, le colonel Lansana Conté, met en place un système d’économie libérale. Il remporte dans des conditions contestées les élections de 1993 et de 1998. Héritière de cet héritage chaotique, la Guinée est aujourd’hui un pays extrêmement pauvre. On y meurt en moyenne à 54 ans.

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