L’utopie d’un capitalisme éthique

Nicolas Guilhot  • 29 octobre 2009 abonné·es

« Nous en étions arrivés à un point où la question était : quelle est la prochaine étape ? Payer les emprunteurs pour qu’ils souscrivent des prêts ? » C’est ainsi que David Sambol, le président de Countrywide Financial, leader américain des crédits hypothécaires, décrit l’euphorie qui régnait au cours des mois qui précédèrent la débâcle de 2007. Il faut dire qu’au sein de cette institution, les dirigeants voyaient dans le relâchement des critères de crédit et l’expansion tous azimuts du marché des prêts hypothécaires une œuvre sociale permettant aux populations marginalisées et aux minorités d’accéder à la classe moyenne par le biais de la propriété.
Rétrospectivement, on peut voir dans ce credo l’expression d’une naïveté confinant à l’idiotie ou au pire cynisme, au choix. Mais ce qu’il révèle surtout, c’est l’utopie d’un capitalisme éthique à même de réaliser le droit universel au logement sans pour autant changer de nature. Une utopie dont la crise des subprimes est venue rappeler les limites. Cette utopie nourrit aujourd’hui la vogue de ce qu’on appelle la « nouvelle philanthropie », dont le propre est d’appliquer à la gestion des questions sociales (pauvreté, revalorisation urbaine, éducation, etc.) les instruments de la finance et la discipline de l’entrepreneuriat, comme en témoignent les expressions « social entrepreneurs » ou « venture philanthropists » qui désignent les principaux acteurs de ce mouvement, pour l’essentiel issus de la nouvelle économie.

Mais alors, quelle est la différence entre cette nouvelle philanthropie et les activités de Countrywide Financial, censées faire œuvre charitable en recourant à des montages sophistiqués et à la titrisation des dettes ? Aucune, si ce n’est l’usage rhétorique de certaines étiquettes plutôt que d’autres. Si la philanthropie a longtemps été une fonction mineure, extérieure à la production, qui servait essentiellement à justifier le système économique en place et à limiter certains de ses effets, aujourd’hui ses contenus ne se distinguent plus de l’activité économique elle-même. Dans les économies avancées, où l’innovation tient à la coordination fluide de compétences dispersées, où la production en réseau est dépendante d’un environnement social large, où l’unité productive n’est plus l’usine fordiste mais la société dans son ensemble, c’est tout le tissu urbain et le lien social lui-même qui deviennent des facteurs productifs. Leur gestion tend alors à se confondre de plus en plus avec le management, et la philanthropie avec une fonction interne à l’entreprise.

L’internalisation des politiques sociales par l’entreprise postfordiste à travers la philanthropie est le revers de l’externalisation de ses fonctions productives. C’est parce qu’elle est en passe de devenir le département des ressources humaines du capitalisme contemporain que la philanthropie connaît aujourd’hui un développement accéléré et fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des pouvoirs publics et des gourous du management. L’enjeu véritable consiste dès lors à politiser ces pratiques et à saisir comment elles peuvent constituer le terrain de nouvelles formes d’antagonisme et de revendication.

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