Le retour de l’orthodoxie budgétaire

Liêm Hoang-Ngoc  • 26 novembre 2009 abonné·es

La Commission européenne vient de rappeler la France à l’ordre pour déficit excessif. 20 pays sur 27 subissent désormais la procédure pour déficits excessifs engagée par la Commission, car leur dette publique dépasse les critères autorisés par le pacte de stabilité (3 % pour le déficit budgétaire, 60 % pour le taux d’endettement). Ces procédures sont incompréhensibles à l’aune de la révision du pacte de stabilité intervenue en 2005. Cette révision autorise en effet les États-membres à dépasser les critères de Maastricht en cas de circonstance exceptionnelle, une telle situation intervenant, selon cette révision, lorsque le PIB recule d’au moins 2 %. Ce qui est le cas en 2009, où le PIB reculera de 5 % dans l’Union européenne et, en son sein, de 5 % en Allemagne et de près de 3 % en France. À la différence des États-Unis, l’épargne est abondante en Europe, voire excédentaire, dès lors qu’elle est insuffisamment mobilisée par les entreprises pour l’investissement, toujours atone. Dans ce contexte où les risques de déflation n’ont pas disparu, il appartient aux États-membres de relancer la politique industrielle en drainant cette épargne vers des projets porteurs.

La Commission en appelle par ailleurs d’ores et déjà à des « politiques de sortie » dès 2011, celles-ci devant se traduire par une « maîtrise des finances publiques » et la poursuite de « réformes structurelles ». Concrètement, cela signifie que les budgets en préparation dès l’automne prochain devront se traduire par de nouvelles suppressions de postes dans les services publics et par la réduction toujours plus grande de la part obligatoire de la protection sociale, et qu’un nouvel assouplissement de la législation protectrice de l’emploi est recommandé.

Ce type de politique, notamment appliqué en France, est loin d’avoir produit les effets escomptés. Depuis leur mise en œuvre, les objectifs de croissance fixés par les lois de finance et les lois de finances révisées (incluant les mesures de relance) ont rarement été atteints. La dette s’est donc mécaniquement creusée parce que les recettes fiscales prévues dans les lois de finance n’ont pas été au rendez-vous. Ces recettes se sont, de plus, amenuisées au fur et à mesure de la création de nouvelles niches fiscales, tel le paquet fiscal, dont les effets sur la croissance sont loin d’être avérés. C’est donc une mauvaise dette qui prolifère, mauvaise parce qu’elle ne finance aucune dépense porteuse d’avenir. Elle pèse déjà sur les générations présentes, qui paient les intérêts des rentiers en acquittant l’impôt sur le revenu, mais aussi la TVA, qui ponctionne chaque citoyen au premier centime d’euro dépensé. Elle épargne les classes aisées, qui bénéficient des intérêts de la dette sans en supporter les charges, protégées qu’elles sont par le bouclier fiscal.

La Commission aurait tort de déroger aux principes affichés lors de la révision du pacte de stabilité de 2005. Ils permettent aux États-membres de disposer des marges de manœuvre nécessaires à la relance, alors que les prévisions de croissance pour 2010 restent très prudentes (car la reprise, dite « technique », est essentiellement due au restockage des entreprises et au léger rebond des exportations), que le taux de croissance restera largement inférieur à son taux potentiel et que le chômage s’aggravera. Il sera nécessaire, dans les travaux futurs du Parlement européen, de proposer des études d’impact visant à distinguer les déficits expansifs (ayant un effet de relance) et les déficits récessifs (engendrant de la mauvaise dette), afin d’évaluer l’efficacité des mesures de relance adoptées par chaque pays membre et d’enrayer l’accumulation de la mauvaise dette. L’adoption prématurée de « politiques de sortie » assimilables à la poursuite des politiques néolibérales s’avérerait complètement décalée dans un contexte où règne le sous-emploi. Il est temps de discuter de l’efficacité des « réformes structurelles » prônées par la Commission, à l’occasion du débat qui s’ouvre au Parlement européen quant à la révision de la Stratégie de Lisbonne.

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