Les valets mènent le jeu

Dans « Dormez,
je le veux ! », de Feydeau, Lisa Wurmser
donne l’avantage
aux domestiques
contre les bourgeois.

Gilles Costaz  • 12 novembre 2009 abonné·es

Feydeau est devenu le cataplasme du théâtre. Dès qu’une pièce ne fait plus recette ou lorsqu’un directeur veut jouer sur du velours, on programme l’auteur du Dindon. Succès assuré. Ce n’est pas seulement une mécanique parfaite, c’est aussi, comme nous le disait Roger Planchon peu avant sa mort, un répertoire du cynisme où se reflètent nos contemporains ; d’où un moindre intérêt pour Labiche, qui, également adulé il y a quelques années, perd du terrain avec ses bourgeois affairistes mais capables de s’attendrir.
Pas de gentillesse chez Feydeau. C’est ce qu’a aussi relevé le metteur en scène Lisa Wurmser en montant une pièce rarement reprise, Dormez, je le veux !, mais en optant pour une perspective imprévue. Elle prend le parti des deuxièmes rôles, des gens de l’arrière-plan : les domestiques.

Dans Dormez, je le veux !, les employés mènent la danse, en effet. Du moins dans la première moitié de la pièce. « C’est pas moi qui m’amuserai à trimballer des fardeaux pareils, je les fais porter au patron » , dit en ouverture le larbin Justin à une amie de sa classe sociale. En effet, doué d’un pouvoir hypnotique, il endort son maître et lui intime de faire ses travaux. Le maître les accomplit et se réveille mystérieusement fourbu. On se doute que le stratagème ne marchera pas longtemps. Feydeau fait arriver un ami du bourgeois qui vient s’installer chez lui. Cet ami est un spécialiste de l’hypnose. Il va déjouer les tours du domestique, qui espérait non seulement reposer ses muscles mais aussi empêcher un mariage qui n’était pas à son goût. Tel est pris qui croyait prendre.

Avantage aux bourgeois dans le texte de Feydeau. Avantage aux domestiques dans le spectacle de Lisa Wurmser. Celle-ci ne change pas la fin, qu’elle respecte comme avec tristesse. Mais elle fait passer dans les rôles subalternes une telle alacrité et une telle jouissance de la vengeance sociale qu’on applaudit l’humiliation faite aux maîtres et qu’on en oublie le dénouement. En préambule, Wurmser a placé le texte de Swift, Instructions aux domestiques. Masqués, les acteurs disent d’un ton pince-sans-rire les insolents préceptes de l’auteur irlandais, qui encourage la valetaille à saloper le service. Puis la pièce commence avec des acteurs démasqués mais très maquillés, intervenant dans un décor flottant dont les éléments se déplacent et s’inversent.

Gilles Amiot, René Hernandez, Emmanuelle Michelet, Séverine Fontaine, Sarah Quentin et Jean-Louis Cordina sont les interprètes vifs et précis de ce spectacle qui sait échapper au danger de sécheresse impliqué dans son propos. Plus le temps passe, plus la soirée devient fantasmatique et s’amuse d’un comique discrètement freudien. Le maître a soudain un comportement de singe, sa sœur si sage se transforme en danseuse espagnole, l’action se transporte dans les hauteurs du décor… Le vent de la folie souffle. Mais l’utopie politique s’est glissée dans la farce et une nostalgie du surréalisme dans les gags.

Culture
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