Une bonne omelette aux cochonneries

André Cicolella  • 19 novembre 2009 abonné·es

PFOA et PFOS ? Ce sont des substances issues de la dégradation des composés perfluorés utilisés comme surfactants dans de nombreux produits industriels et domestiques, en raison de leur propriété unique, à la fois antihumidité et antitache. Ils sont partout : poêles, ustensiles de cuisine, emballages (pizzas, pop-corn…), textiles (imperméabilisant), chaussures, meubles et moquettes. Vous les connaissez mieux sous leurs noms de marques : Téflon, SilverStone, Baygard, Scotchgard, Gore-Tex, etc. Ils sont suspectés depuis plusieurs années d’être des cancérogènes et des toxiques de la reproduction.

Très pratique. Mais le hic est que cet usage généralisé des perfluorés s’est traduit par une pollution tout aussi généralisée de l’écosystème. C’est chez les ours polaires que l’on trouve les niveaux les plus élevés, mais aussi chez les dauphins et même les pandas, dont on ne sache pas qu’ils abusent de l’omelette ! Le PFOA et le PFOS ont été détectés dans respectivement 97 % et 94 % des échantillons prélevés dans plus de 100 rivières de 27 pays européens. Les perfluorés se retrouvent aussi dans les poussières de l’environnement intérieur. Les enfants ont par conséquent une exposition 5 à 10 fois plus élevée que celle des adultes.
Depuis octobre 2006, le PFOA est classé par l’Union européenne toxique pour la reproduction et cancérogène. Le PFOS y est interdit depuis 2008, mais reste cependant très présent dans l’environnement et l’organisme humain, où il peut agir de concert avec le PFOA et les autres composés fluorés. Les deux ne sont en effet que très lentement éliminés par l’organisme humain, beaucoup plus que chez la souris (3,8 ans contre 17 jours pour diviser par deux la concentration en PFOA). L’exposition du fœtus est totale également via le placenta. L’imprégnation de la population par le PFOA est ainsi quasi générale (plus de 98 % aux États-Unis). Il est retrouvé dans le lait maternel (100 % d’un échantillon en Chine). Idem pour le PFOS, même après son interdiction.

On pourrait penser qu’avec un casier aussi chargé une telle substance serait très vite mise sur la touche. Eh bien non ! En réponse à une demande de l’UFC-Que choisir ?, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a publié le 27 juillet un avis « relatif aux risques potentiels pour la santé humaine liés à la présence résiduelle d’acide perfluoro-octanoïque (PFOA) dans les revêtements antiadhésifs des ustensiles de cuisson des aliments » . Conclusion péremptoire : « considérés comme négligeables » . Le problème est qu’au mois de mars dernier une équipe danoise publiait dans la revue de référence Environmental Health Perspective s les résultats sans équivoque d’une étude effectuée chez des hommes jeunes : plus l’imprégnation en PFOA-PFOS était forte, plus la qualité du sperme était basse. Le groupe le plus imprégné était à la limite de l’infertilité du point de vue de la concentration du sperme.

Un oubli fâcheux pour une agence censée examiner toute la littérature scientifique de façon impartiale. D’autant plus que ce n’était pas le seul. Une étude de 2007 aux États-Unis montrant une atteinte du développement (baisse du poids de naissance et taille corrélée négativement à la concentration dans le sérum du cordon en PFOA et PFOS) et une étude américano-danoise montrant une baisse de la fécondité liée au niveau d’imprégnation maternelle par les mêmes composés étaient également passées à la trappe. Ainsi que plusieurs études montrant des impacts chez l’animal. Cela fait beaucoup pour un seul dossier. D’autant plus que ce même comité de l’Afssa avait déjà été pris en flagrant délit de manquement à la déontologie de l’expertise sur un autre dossier, celui du Bisphénol A (BPA). À la suite des interventions du Réseau environnement santé, le nouveau directeur de l’Afssa s’est engagé à rouvrir le dossier de l’expertise pour le BPA et le PFOA. L’entreprise DuPont, inventeur du PFOA, a aussi réagi en annonçant qu’il renonçait au PFOA dès 2010. Il faut espérer que ces signes traduisent une prise de conscience de la nécessité de considérer enfin sérieusement les substances de type perturbateurs endocriniens.

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