Conf’ de presse

Bernard Langlois  • 17 décembre 2009 abonné·es

Deux ans

Ce lundi 14 décembre : le Président cause à 11 heures. Une conférence de presse. Il avait abandonné le genre depuis presque deux ans, gardant un souvenir – disons, mitigé – de la dernière en date, en janvier 2008. Une conférence interminable, qui partait dans tous les sens et polluée par des questions (et des réponses) sur sa vie privée : Carla venait tout juste d’entrer en scène… Après la période bling-bling (Fouquet’s, Rolex et Cie), c’était le début de la période Harlequin (la collection). Le Petit Père des riches était pourtant assez content de lui et de sa prestation à la sortie de la grande salle des Fêtes : les journalistes avaient ri (servilement) lorsqu’il s’en était pris (sottement) à l’un d’entre eux, les courtisans l’avaient assuré de l’excellence de son numéro ( « Vous avez été très bon, M. le Président ! » ), mais les commentaires à froid avaient été sévères, et l’opinion n’avait pas vraiment apprécié, les sondages en témoignaient les jours suivants. Depuis, plus de conférence de presse, exercice trop délicat à maîtriser pour un type aussi agité que notre premier Monsieur (ben quoi ? On dit bien première Dame, non ?).

La dette

Du reste, pourquoi donc irait-on se mettre en danger
– Oh ! très relatif ! –, quand il est si confortable d’aller faire le beau devant des parterres sélectionnés et bien protégé des gêneurs, ou de se faire interroger chez soi, bien au chaud, par les passeurs de plats habituels des chaînes télévisées, hein, Mâ’me Michu, je vous l’demande ?
Nicolas Sarkozy a fini par comprendre
– on a réussi (peut-être sa chère et tendre) à lui faire comprendre – que ses concitoyens et électeurs préféreraient un comportement plus sobre, moins démonstratif, plus conforme à l’idée qu’ils se font de la fonction présidentielle.
La conférence de ce jour (sur le thème : comment dépenser 35 milliards que nous n’avons pas, quelque chose comme la liste des courses pour le supermarché) devrait coller pile poil à cette nouvelle image que le Prince souhaite aujourd’hui donner de lui : rien que du solide, du sérieux, de l’économique bien soporifique, devant des confrères spécialisés qui ne risquent pas de s’égailler sur des chemins buissonniers.
Bien sûr, c’est moins rigolo que quand il se lâche en famille (politique) sur le dos de ces connards de socialistes qui ne savent pas utiliser leurs talents. Mais, bon, faut savoir se montrer à la hauteur. Celle de la dette qu’on colle sur le dos de nos enfants.

Eau de boudin

Il n’a pas de chance, notre Omniprésident. Rien ne marche en ce moment. Il a beau être devenu sérieux, grave comme un pape, soucieux des maux de la planète, courir le monde en tous sens, être au four avec Lula et au moulin avec Brown, faire la leçon à Obama…
Il a beau se démener comme un diable dans un bénitier, il ne fait rien qu’à plonger dans les sondages. Si encore il finissait par trouver du pétrole ! Mais la France, c’est comme Dubaï : la quasi-faillite, mais pas de pétrole (j’exagère : il y a encore bien de la richesse dans ce pays ; le problème est qu’elle reste dans les mêmes poches, ou les mêmes coffres suisses, et que M. Woerth a beau brandir ses listes – comme naguère ce pauvre Bérégovoy –, elle n’est pas près d’en sortir) ; il a beau faire, le PPR, tout part en eau de boudin. La croissance reste en berne, le chômage grimpe, les grèves menacent (encore heureux que le copain Thibaud se soit fait réélire !), l’insécurité gagne avec la misère, les assoces caritatives ne savent plus où donner de la soupe populaire, et voici que l’hiver s’installe et qu’on ne va pas tarder à relever les premiers morts de froid. Et même le Grrrand Débat sur l’Identité nationale, lancé avec buccins et trompettes par son Éric Ganelon préféré, censé flanquer la pagaille dans les rangs adverses et rameuter les lepénistes ralliés tentés de retourner à leur hôtel borgne d’origine : même ça, ça foire, ça débonde, avec des odeurs d’égouts qu’il n’était pas difficile de prévoir !
Encore la faute aux Suisses et à leurs minarets dressés comme des missiles, même qu’il a fallu d’urgence que Guaino lui ponde un texte pour « recadrer » le débat !

Martingale

Tiens, parlons-en de Guaino. M. le Conseiller spécial. « La plume du Président ». Furieux que la presse ait récemment dévoilé son salaire, coquet. « C’est du domaine privé ! » , qu’il rouscaille. Eh bien ! Même Guaino file du mauvais coton.
Je le trouvais plutôt sympa, il y a longtemps, ce fils d’une femme de ménage, qui n’a jamais connu son père, qui s’est élevé à la force du poignet, bel exemple de ce que pouvait produire de mieux une école républicaine qu’on n’a de cesse de réduire à quia… Cet homme talentueux, cultivé, patriote old style , fier de son parcours, se réclamant du gaullisme social (il y a pire !), longtemps proche d’un Séguin, ombrageux comme lui. Je n’avais pas bien compris quand Jospin, alors Premier ministre, l’avait débarqué sans ménagement de son poste de commissaire au Plan. En 2001, cet illustre inconnu (hors du sérail) s’était présenté aux municipales à Paris, dans le Ve arrondissement, candidat dissident contre Tiberi – qui l’écrabouilla. Jusqu’alors, son parcours m’inspirait du respect. Son ralliement à Sarkozy m’a déçu. Il fut, de l’avis général, un des principaux artisans de la victoire de son champion, en 2007, truffant les discours du candidat de références de gauche et d’envolées sociales propres à brouiller les pistes.
Buisson sur la droite (avec le mouton dans la baignoire), Guaino sur la gauche (avec Jaurès, Moulin et Guy Môquet…), Guéant au milieu, à la manœuvre : la martingale gagnante !

En berne

Le petit Chose reçoit donc sa récompense (méritée), entre à l’Élysée, avec ce titre de Conseiller spécial – celui dont bénéficiait Attali sous Mitterrand – qui lui donne vocation à intervenir sur à peu près tous les sujets.
Et il ne s’en prive pas, ayant des idées sur tout ; et bénéficiant, comme Guéant du reste, d’une exposition médiatique qu’en bonne démocratie on devrait réserver aux ministres (pour l’exécutif) et aux parlementaires : les conseillers n’ont pas vocation à parler au peuple, seulement à l’oreille de leur maître. Mais il y a lurette que nous ne sommes plus en (bonne) démocratie. Donc, Guaino ne se contente pas de cuisiner les discours du chef, comme on dirait de la terrine, où il s’efforce avec talent de faire prendre la vessie présidentielle pour une lanterne : il exprime aussi des orientations politiques, dit ses préférences, assène ses vérités qui ne sont pas forcément celles que privilégie le Prince, soumis à bien d’autres influences que la sienne. L’affaire du « grand emprunt » est à cet égard significative : en opposition à Juppé et Rocard (excusez du peu !), le Conseiller voulait imposer une somme de 100 milliards, quand les autres tenaient pour 35. Et il est allé jusqu’à susciter une sorte de fronde parlementaire pour arriver à ses fins, ce qui a déplu. De même s’est-il élevé (publiquement), à juste titre, contre la décision du ministre en charge de priver les terminales S de cours d’histoire : manquement à la solidarité gouvernementale, éclats de voix et claquements de portes au sein du cabinet… Il n’a pu manquer enfin de trouver grotesque (mais il est là aussi en bonne compagnie) le misérable chœur des Excellences recrutées par les jeunes UMP (mais qu’est-ce qu’on fume, chez ces djeuns-là ?) pour une prestation musicale à vocation électorale qui devrait, si les Français ont encore un peu de bon sens, assurer aux socialistes et à leurs alliés ce grand chelem régional auquel Martine Aubry rêve tout debout.
Le bel Henri, donc, a l’étoile pâlissante et la superbe en berne. Pas encore à la rue, mais plus près de la porte que de l’augmentation. En tout cas, avec de solides ennemis dans la place. Quand tout baigne, conseillers et ministres sont au Château (et annexes) comme des coqs en pâte ; quand le vent se lève, il faut bien commencer à chercher des responsables, peut-être même des coupables. Et avec un maître qui a la tête aussi près du bonnet…

Le pire

Un livre, s’il reçoit l’accueil médiatique auquel il a droit (du moins son auteur : Serge Portelli, un magistrat de solide réputation), ne devrait pas contribuer à redresser la cote de Sarkozy. Je ne l’ai pas encore lu, mais quelques extraits, complétés par le blog de l’auteur, me paraissent suffisants pour que je vous le recommande vivement [[Le Sarkozysme sans Sarkozy, Serge Portelli, Grasset, 272 p., 18 euros. Et : [->http://chroniquedelhumaniteordinaire.
blogs.nouvelobs.com/]]].
Portelli nous prévient : « Nicolas Sarkozy n’a pas grand intérêt. Seul compte le sarkozysme. Il est notre réalité. Et pour longtemps. » Car, à ses yeux, l’actuel locataire de l’Élysée n’est que « le représentant provisoire d’un ordre politique inédit qui s’installe ». Quel ordre ? «  Le sarkozysme n’est pas la droite classique. L’idéologie qui l’anime n’est pas celle que nous connaissions. Le discours qu’il développe n’est en rien celui que nous entendions, avec tant de variantes pourtant, de De Gaulle à Chirac, en passant par Pompidou ou Giscard d’Estaing. Le vocabulaire qu’il utilise – avec soin – n’est pas celui de la droite républicaine. Son dictionnaire ordinaire emprunte de plus en plus au langage de l’extrême droite et ce langage
– qui s’impose insidieusement grâce à l’empire et l’emprise médiatique du système – nous habitue progressivement au pire. »

Certains trouvent que cet anti-sarkozysme « systématique » est exagéré. Moi pas. Mais comment en convaincre le plus grand nombre ? Comment échapper au « pire »  ?

Dans une Europe menacée par les faillites de plusieurs de ses États membres ; dans un monde où l’on voit bien, malgré les proclamations optimistes, qu’il est loin d’en avoir fini avec la crise – et il n’est pas trop tard pour vous familiariser avec son vocabulaire [^2] –, alors que s’achève, dans quelques jours alors que j’écris, cette conférence de Copenhague dont il n’était pas bien malin de prévoir qu’elle tournerait en eau de boudin (quel que soit le camouflage qui sera donné à l’échec), le pire, dont on dit qu’il n’est jamais sûr, me semble être devenu probable.
Essayez tout de même de passer de bonnes fêtes !

[^2]: Petit Dictionnaire des mots de la crise, Philippe Frémeaux, Gérard Mathieu, Les petits matins, Alternatives économiques, 138 p., 12 euros.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 10 minutes