Les plans de la bourgeoisie

Michel Husson  • 3 décembre 2009 abonné·es

Si quelques naïfs pensaient encore que la crise pouvait déboucher sur une meilleure « régulation », voire sur une « refondation » (sic) du capitalisme, le redémarrage insolent des profits bancaires, des bonus des traders et de la spéculation devrait les éclairer. La logique de ce système est de chercher à recréer au plus vite ses conditions de fonctionnement, certes perturbées par la crise, mais optimales pour les possédants. Les États bourgeois, puisqu’il faut appeler les choses par leur nom, ont déversé tout l’argent nécessaire pour sauver leurs banques, à peu près sans aucune contrepartie. Il y a là une logique implacable, mais qui s’explique simplement : au fond, c’est la finance qui gouverne les « démocraties ».

Cela dit, le choc a été sérieux et il ne va pas être facile à éponger. De ce point de vue, les dernières Perspectives économiques de l’OCDE peuvent être lues comme un mode d’emploi, voire comme un programme. Le rapport commence par présenter des prévisions relativement rassurantes : c’est la cata en 2009, c’est très moyen en 2010, mais « ça » (le PIB) repart en 2011 à peu près comme avant. Pourtant, même dans ce scénario plutôt rose, les compteurs ne seront pas remis à zéro avant longtemps, et il faut donc « préparer la sortie » : c’est le titre de l’éditorial signé Jørgen Elmeskov.

Première cible : les déficits publics. Pour assainir les budgets, il faudra des mesures « importantes la plupart du temps et parfois radicales » , mais, en même temps, il ne faudrait pas qu’elles soient « mises en œuvre à un rythme qui nuise à la reprise » . Par ailleurs, il est « impératif que les autorités conservent la confiance des marchés des capitaux et des ménages » . Comment alors gagner cette confiance tout en adoptant le bon timing  ? Réponse : en mettant en œuvre, « sans tarder, des réformes trop longtemps différées des systèmes de pension et de santé », qui « devront jouer un rôle de premier plan pour assurer la viabilité des finances publiques ». Voilà qui va rassurer les marchés financiers ; pour les ménages, c’est moins sûr ! Ensuite, le dictionnaire des idées reçues continue. Impôts : éviter de les augmenter. Secteur public : améliorer son « efficience en maintenant ses réalisations tout en réduisant ses ressources ». Etc.

Deuxième cible : le marché du travail. Il s’agit ici de revenir sur toutes les mesures prises dans l’urgence de la crise, et c’est dit sans précaution oratoire : « À mesure que la reprise progressera, les mesures d’urgence (régimes d’indemnisation du chômage partiel, par exemple) devront être progressivement supprimées, car leur maintien affaiblirait la capacité de production de l’économie. » Le cynisme se déploie ici avec un sans-gêne assez effrayant : « Les dispositifs favorisant la réduction du nombre d’heures travaillées, qui ont été très utiles pour amortir le chômage en période de récession, doivent aussi être suivis de près par crainte qu’ils ne se pérennisent. » Cela veut dire qu’il faudra les attaquer directement : « Des contre-incitations suffisantes doivent être en place pour dissuader les employeurs et les salariés de recourir à ce type de dispositifs en temps normal. » Mais c’est quoi, le « temps normal », quand les taux de chômage viennent de franchir une marche d’escalier qu’ils mettront des années, dans le meilleur des cas, à redescendre ?

Ce texte doit être lu comme une contribution à la définition d’une stratégie globale. Ce sont dans des lieux comme l’OCDE que s’élaborent les plans de la bourgeoisie, en même temps que leurs justifications prétendument expertes. Avant la crise, le milliardaire Warren Buffett déclarait : « Il y a une guerre des classes (class warfare), c’est vrai, mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre, et c’est nous qui la gagnons » (New York Times, 26 novembre 2006). Ce qui se prépare sous le terme de « sortie de crise », c’est un nouvel épisode de cette guerre sociale. Il s’agit, quel qu’en soit le prix à payer pour la majorité de la population, de « ne pas affaiblir la capacité de production de l’économie » , bref de revenir à un fonctionnement normal des affaires et à un taux de profit satisfaisant.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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