Alain Cangina, maison d’arrêt de Corbas

Politis  • 7 janvier 2010 abonné·es

«Je vous le raconte au fil de la pensée mais, pour commencer, il faut faire la différence entre la maison d’arrêt (pour les prévenus et les peines courtes) et le centre de détention ou la maison centrale (pour les moyennes et longues peines). Ces deux derniers ne sont jamais en surpopulation puisqu’ils ne peuvent pas dépasser leur effectif théorique. En centre de détention ou en centrale, le détenu est seul en cellule, sauf s’il veut un codétenu. Sa porte reste ouverte (et il a sa clé) de 7 heures à 18 h 30. Il peut circuler dans le bâtiment, aller en salle d’activités, recevoir quelqu’un, aller chez un autre.
En maison d’arrêt, c’est différent. C’est surpeuplé, et on ne circule pas. Tout est soumis aux appels (infirmerie, avocats, parloirs). Le surveillant ouvre une dizaine de portes. Sonner, attendre, présenter sa carte, vérifier sur les listes…

Pour tous les mouvements de “promenade”, les surveillants sont plus nombreux et “encadrent” la descente des étages dans la cour. Idem au retour. Aucune initiative. Pour aller quelque part, il faut faire un “mot”, toujours. Ensuite (deux, trois, parfois dix jours après) on est appelé. On ne peut pas circuler dès qu’il y a “blocage”. C’est la culture du secret, à vrai dire inutile car radio prison va très, très vite, de fenêtre en fenêtre. Exemple : une bagarre entre un détenu et un maton. Alerte, puis descente de dix ou quinze matons. C’est aussi le cas pour la découverte d’un suicide ou d’une tentative, ou quand un mec doit aller au mitard et qu’il traverse les coursives ou les allées, menotté et encadré. Il ne faut pas que les détenus le voient pour ne pas créer d’agitation. Ça en crée davantage. Donc, aucune libre circulation dans la mesure où, pour bouger, il faut des “mots” ou être appelé. Cela ouvre la voie à toutes les dérives, comme le surveillant qui ne va pas chercher le mec, car ça l’emmerde d’ouvrir et de fermer des portes. Il dit donc que le mec a refusé d’y aller. Et hop ! Ça, c’est souvent valable pour les activités, car lorsque le greffe appelle ou bien l’avocat, là le surveillant est obligé quand même. Quand on rétorque que telle ou telle chose n’est pas inscrite dans le code de procédure pénale, on vous répond que si le contraire n’est pas écrit, c’est qu’on peut !

Pour le courrier, le vaguemestre va à la poste porter le sac de lettres au départ et récupérer celui qui arrive. Il est trié (ouverture des lettres et “censure”), ensuite réparti entre les surveillants des trois étages, qui distribuent en cellule. Le courrier partant est mis dans une boîte ouverte (fabriquée par les détenus, boîte de biscottes, de corn-flakes, et scotchée sur la porte à l’intérieur). À 7 heures, le maton ouvre et ramasse le courrier. Regroupement au rez-de-chaussée, tri entre lettres et mots internes puis nouveau regroupement au vaguemestre ou réparti entre Spip [Service pénitentiaire d’insertion et de probation, NDLR], infirmerie, greffe… Finalement, c’est ingérable. Trop segmenté. Le courrier est donc distribué selon la bonne volonté. Celui au départ part assez bien. Mais on peut très bien ne rien recevoir de la semaine et, le vendredi, dix lettres d’un coup. Les lettres qui partent au vaguemestre sont ouvertes, sauf celles adressées à la justice, aux avocats et autres instances officielles.

C’est le vaguemestre qui colle après censure. Ils en lisent une sur cent.
La bouffe est servie à 12 heures et à 18 heures, par étage. Il y a un gameleur [^2] aidé par un auxiliaire (un détenu qui entretient les lieux communs de l’étage) et un maton. C’est le moment, selon le bon vouloir du maton, où on se fait passer des choses entre nous. Café, dépannage bouffe, papier, enveloppes, timbres… La bouffe est souvent dégueulasse, mais reste aux normes. Les quantités, c’est tout juste. On est servi en barquettes individuelles. Dans un chariot avec un côté froid et un côté chaud (isotherme). Il faut absolument cantiner pour améliorer l’ordinaire. Si tu n’as pas d’argent, tu survis. La cantine est très chère.

Sinon, on cantine casserole, poêle, plaque chauffante et on popote. Ça occupe, ça crée du lien. Pour vivre correctement, sans compter le tabac, il faut entre 50 et 100 euros par mois, selon son appétit.
Pour cantiner, on remplit un bon de blocage pour la comptabilité, qui crédite le compte cantine du détenu. La cantine prépare les commandes qui sont distribuées en cellule. Erreurs fréquentes. Un mois pour rattraper, quand on rattrape. Souvent, quand ça déconne trop, un bricard [^3] peut plaider pour nous. L’erreur, c’est l’absence du produit déjà débité, ou une autre chose à la place de ce qui est commandé. Exemple : confiture à la place de Nutella. On n’a jamais accès au décideur.

Au rayon lecture, la bibliothèque est pauvre, fournie uniquement par des donneurs bénévoles et le surplus des bibliothèques publiques. Les grands classiques habituels, romans, thrillers et SF. Un très petit rayon spiritualité. Un peu de BD, les dicos, les revues. Le code pénal est consultable sur place mais interdit d’emporter en cellule (pratique, hein ! quand on feuillette le code pénal). On arrive quand même quelquefois à se débrouiller ! Il faut se battre pour aller en bibliothèque car souvent le surveillant du bas n’appelle pas (la bibliothèque est au sous-sol). Les activités ont lieu une fois par mois (pendant six mois, on n’a rien eu). Il y a un atelier : écriture, poterie, peinture. Dix personnes maxi sur un bâtiment de 300 détenus. Un concert dans le gymnase une fois tous les mois et demi. Maxi 50 pour 900 (trois bâtiments) Le sport marche assez bien. Foot et autres sports co. Chaque bâtiment a sa salle de muscu. Peu y vont, et c’est suréquipé. Il faut choisir activité ou promenade, sinon ça se croise trop. En fait, les matons veulent limiter au maximum les mouvements (moins de boulot et plus de sécurité). Il existe des groupes de lecture biblique de chant et des offices. Cathos et protestants se relaient le dimanche. Islam le vendredi. Maxi 30 personnes pour chaque office. On est 930 pour 650 places (et c’est pas fini, ça continue d’augmenter). Les activités culte sont très suivies. Il y a les croyants, comme moi, ceux qui se réfugient dans la foi et ceux pour qui c’est l’occasion de sortir de cellule. Les aumôniers passent nous voir. Ça fait plaisir de recevoir quelqu’un et d’offrir un café, un verre de limonade. Ça réhumanise. Il y a une marge entre le surveillant sympa et dévoué (5 % du personnel) et celui qui s’en fout, qui se fait chier, qui vomit sa haine sur les détenus (trop nombreux), et les indifférents. Faut dire, c’est la honte quand ils disent : “Je suis maton !” Et malgré la publicité pour le recrutement, c’est un métier pas valorisant socialement.

Le soir, à 18 h 30, c’est la condamnation de la cellule (double verrouillage) et quoi qu’il arrive (suicide, malaise, retour tardif d’un tribunal), il faut alors un bricard pour décondamner. En cas de suicide, le mec a largement le temps d’y passer. Il faut compter au moins trois quarts d’heure, même une heure, une heure quinze pour décondamner. Et ça rouvre le matin à 7 heures.

Le plus pénible, c’est la fouille, quand on sort (tribunal, convocation chez le juge), la fouille intégrale à l’aller et au retour. Ou bien la fouille pour le parloir famille à l’aller et au retour aussi. Ou encore la fouille aléatoire du bonhomme et de sa cellule. On a aussi le test des barreaux : dans chaque cellule, deux matons qui viennent taper avec une barre de fer sur les barreaux pour voir si ça sonne bien et si on n’a pas commencé à les scier. Les doubles grillages, c’est horrible. Ça ne gêne pas la luminosité mais on ne peut regarder qu’en face. La largeur empêche la vue sur les côtés, en haut et en bas. Au second étage, ça va, on voit au-dessus du mur d’enceinte. C’est mon cas. Au premier et au rez-de-chaussée, pas de vue, sinon les murs d’en face. Des mecs ont la vue qui baisse à force de ne pas avoir d’horizon. Sérieux !
Ce double grillage, c’est pour arrêter le « yoyotage ». Un yoyo c’est un poids avec une ficelle, des draps coupés en lanières. On fait tourner, l’autre tend le bras et hop on a un lien entre cellules. Ça sert aussi à récupérer les projections de l’extérieur. On met une fourchette au bout, tordue en hérisson, on jette et en laissant traîner au sol, on récupère la projection. Tout se fait de nuit. On peut avoir des choses (du shit, un téléphone, de l’alcool). On planque dans la cellule, toujours en séparant les choses. Je ne peux pas révéler les planques. On peut aussi avoir des choses en payant certains matons qui améliorent leurs fins de mois. C’est cher, entre 100 euros une bouteille de whisky et 300 euros un téléphone portable.

Si les doubles grilles commencent à être percées, le coût est de quinze jours de mitard, un ou deux mois de plus en prison, et une amende de remboursement. Les détenus s’en foutent, ils ont trop besoin de contacts avec l’extérieur. L’administration ne remplace pas les grilles, on peut donc au moins passer le bras, et ça yoyote à nouveau. Avec le vent, on arrive à entrer en liaison jusqu’à 70 mètres, d’un bâtiment à un autre. Il y a souvent du vent ici. On se passe des petites choses à travers les caillebotis de 5 centimètres sur 5. Bout à bout, à force de ruses et de relations, on arrive à contourner. Les détenus sont inventifs. Par contre, quand un mec est à la “trique”, repéré par les matons à cause des bagarres ou des insultes, cela devient pour lui quasiment impossible.
Enfin, mieux vaut ne pas être malade. L’infirmerie, c’est galère pour se faire soigner. Le service médical (un personnel non-pénitencier) est sympa, mais quatre infirmiers, deux médecins, deux dentistes et un radiologue pour 900 détenus, c’est chaud. Des spécialistes viennent une fois par semaine (ophtalmo, kiné, ORL). Sinon, c’est l’hosto, avec fouille et tout le truc, accompagné de matons (trois surveillants pour un détenu). On est tous mal soignés. Par contre, on peut avoir tout ce qu’on veut en cachets, somnifères, neuroleptiques, antidépresseurs : vaut mieux des zombies que des rebelles ! »

 

[^2]: Un détenu.

[^3]: Un brigadier.

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Libres paroles de détenus
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