Anonyme, en maison d’arrêt

Politis  • 7 janvier 2010 abonné·es

« La prison, c’est pire que ce que vous imaginez ! La survie devient difficile. Avec une absence totale d’humanité, au sens de ce qui fait l’humain : son identité, sa personnalité, sa dignité. Dans cette poubelle neuve et propre, déjà surpeuplée, tous les contacts sont rompus. Le prisonnier est martyrisé psychologiquement. Je n’exagère pas. Il subit l’arbitraire du surveillant qui applique sa règle, selon son humeur et sa tranquillité. La punition, pour un surveillant, est d’être en coursive. Ouvrir et fermer des portes, c’est être en bas de l’échelle. Il vise les bureaux, le parloir famille. Tout, sauf les coursives. L’arrivée de gens de plus en plus déséquilibrés n’est pas la cause des problèmes. Certes, certains détenus sont réellement malades. Mais c’est le régime qui, avant tout, déséquilibre les personnes, rend agressif et, ce faisant, devient le meilleur agent de la récidive. Jean-Marie Delarue, contrôleur des lieux privatifs de liberté, a déclaré que « plus la détention est dure, plus la récidive est grande ».

Les surveillants sont aigris par l’image sociale d’eux-mêmes et se sentent assimilés aux détenus quand ils sont dehors. Nous, on paie leur frustration. Il y a parfois un surveillant qui reste humain. On ne peut donc globaliser. Mais la réalité est ainsi, désincarnée et sadique.
Dans cette nouvelle maison d’arrêt, taper sur les portes ne sert plus à rien. C’est insonorisé. On n’entend rien dans les étages, rien ne résonne. C’est un univers aseptisé où tout a été fait pour la sécurité, sûrement pas pour les hommes. Il devient même difficile de se pendre. Toutes les aspérités, tous les tuyaux servant de support n’existent plus. Pour se suicider maintenant, faut se tailler les veines ou mettre le feu dans la cellule pour s’étouffer. Les oiseaux ne viennent même plus sur le rebord des fenêtres. On n’a plus à qui donner du pain. Nos cafards et nos souris ont disparu. On n’a donc plus personne à qui parler.

À Saint-Joseph, où j’étais avant d’être transféré, on avait la compagnie des rats dans la cour, les souris venaient nous visiter, les cafards grimpaient le long des murs. C’était une distraction. Il y avait du vivant. On jetait des bouts de pain aux pigeons par la fenêtre. Comme la prison était en plein centre-ville de Lyon, on entendait tous les bruits, les rumeurs de la ville. C’était sans doute insupportable d’avoir une maison d’arrêt en ville, parce que la prison rappelle la part d’ombre de chacun de nous. C’est plus facile de ne pas savoir.

On pourrait croire que la modernité est plus confortable, avec ses douches en cellule. Mais l’inhumanité est telle que surveillants et détenus préfèrent les anciennes ! C’est pour cela qu’il y a de plus en plus d’agressions, de tentatives de suicide. On compte les suicides « réussis ». Mais en France, dans chaque prison, il y a plus d’une tentative par semaine !

L’inhumanité est renforcée par une organisation cédée au privé. La prison est devenue un marché. Sur le dos des détenus, le privé vit très bien dans cette logique commerciale, en grattant sur tout, comme les repas, la gestion des cantines aux prix prohibitifs. 30 % de plus que n’importe quel supermarché. Ils sont en situation de monopole, fixent leurs propres règles. Ils sont parfois hors la loi dans la prestation de services. Ils ne risquent rien, la clientèle est renouvelée en permanence ! Ici, il a fallu se battre pour conserver nos plaques chauffantes à 500 watts. Le privé n’en voulait pas parce que ça bouffait de l’électricité !

Dans tous les cas, les surveillants ont intérêt à ce que cela aille mal. Plus la prison merde, plus leurs revendications seront entendues. Le détenu, lui, n’a pas droit à la parole. Jamais. La vétusté des anciennes prisons permettait au moins de se faire entendre.
Dans l’hypersécurité, le détenu est nié. D’où l’agressivité. Quand on se bat, même entre nous, au moins on a le sentiment d’exister. La violence, la transgression, ce sont des éléments de survie. Mais dans cette inexistence organisée, un bon détenu est un détenu qui ne parle jamais. »

Publié dans le dossier
Libres paroles de détenus
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