Habiter chez Vanot

Le chanteur offre avec « Bethesda » un album
de grâce et d’audace, d’une grande liberté.

Christophe Kantcheff  • 7 janvier 2010 abonné·es

À l’écart des flux de production courante, qui obligent à rendre sa copie tous les deux ans même si la nécessité fait défaut, on trouve un bien luxueux – le temps – et un artiste plus proche des rythmes de la nature que des trépidations de la ville : Silvain Vanot. Son dernier album, Il fait soleil , datait de 2002, mais le chanteur n’était pas pour autant parti sans laisser d’adresse : on l’a vu jouer du ukulélé pour Mareva Galanter, publier une biographie de Dylan, et composer des musiques de film.
Pourquoi subir la seule conception du temps imposée par l’industrie du disque ? Surtout si, au bout de ces années, l’album qui vient est succulent, en pleine maturité ? Tel est Bethesda. Loin d’être inhibé par l’enjeu du « retour », Silvain Vanot ­semble avoir mis de côté cette pression pas toujours bonne conseillère, pour aller au bout de ses idées et de ses envies. On n’est pas sur une autre planète, on est bien chez Vanot Silvain, avec ses textes aigres-doux où tous les mots sont ciselés, son goût pour les ambiances folk et cosy, et sa voix aérienne. Mais il est clair que son univers musical a gagné en surface et en liberté.

De la ballade inaugurale (« Ô mon tour »), à la chanson conclusive du genre bouddhiste humoristique (« les Fleurs »), où résonne un sitar, Bethesda entraîne son auditeur dans des climats variés sans être hétéroclites. Vanot, qui n’a pas oublié sa grammaire rock, a trempé sa plume de compositeur dans des couleurs musicales qui tirent vers la ritournelle surréaliste (« Un pied derrière »), l’acidulé électrique (« le Mouton à trois têtes ») ou l’élégiaque façon Jean-Louis Murat (« Rivière »). Il bénéficie en outre de la sensibilité et du savoir-faire de musiciens qui affectionnent la singularité audacieuse et tranquille : John Greaves à la basse et aux claviers, Iain Templeton à la batterie et aux percussions, Renaud Gabriel Pion aux clarinettes et B.J. Cole à la pedal steel guitar.

Le chanteur et ses musiciens forment un ensemble tantôt soyeux tantôt strident, émancipé des codes de la variété ou de tout autre genre. Est-ce le fruit de l’expérience ? On n’a jamais senti Vanot aussi libéré, osant à la voix des aigus qu’il ne s’était jamais permis, jouant avec l’absurde, avec le jeu, avec lui-même. Bethesda est un village du Pays de Galles où le disque a été enregistré. Bethesda est aussi en hébreu le nom de la maison de la grâce. On a envie d’habiter là, même si l’on est dénué d’inclination mystique. On a envie d’habiter là, simplement parce qu’on s’y sent bien.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes