Ces jeux coûteux et dévastateurs…

Les Jeux olympiques de Vancouver se sont tenus au prix d’expropriations d’autochtones. Ils se tiennent aussi au prix d’une aberration écologique : l’apport artificiel de milliers de tonnes de neige. À Annecy, candidate à l’organisation des jeux d’hiver 2018, un comité s’oppose.

Sophie Chapelle  • 25 février 2010 abonné·es
Ces jeux coûteux et dévastateurs…
© Photo : Lecka/AFP

« Nous ne sommes pas pour ce modèle de JO-là » , martèlent les membres du Comité anti-olympique (CAO) d’Annecy. « Ce qu’on nous propose, c’est du superflu, du surdimensionné, s’inquiète Christian Œil, membre du Comité. On prévoit une patinoire de 12 000 places sur Annecy, des chambres en hôtel 4 étoiles pour du tourisme haut de gamme. Ces structures coûtent une fortune. » Les villes candidates ont souvent fait preuve de sous-estimations. À Athènes en 2004, les Jeux auront coûté près de 9 milliards d’euros au lieu des 4,5 prévus. Le coût prévisionnel des Jeux de Londres en 2014 a déjà quasiment quadruplé. Plus proches des Annéciens, les Grenoblois ont payé la facture des JO de 1968 durant vingt-sept ans sous forme d’impôts supplémentaires. « Transports, hébergements, équipements sportifs, Annecy possède déjà 80 % des infrastructures » , rétorquent les promoteurs de la candidature. « C’est vrai, reconnaît Christian Œil, mais l’essentiel n’est pas aux normes CIO. Et n’ont pas été comptabilisés non plus les villages olympiques et les capacités d’hébergement. » Les membres du CAO assurent que les JO coûteront deux fois plus que les 240 millions d’euros annoncés.

« Les organisateurs parlent de compensation carbone, poursuit Christian Œil. Or l’enjeu n’est pas de compenser, mais de réduire nos émissions. En deux semaines, les JO de Turin ont consommé autant d’eau qu’une ville de 600 000 habitants pendant un an, c’est n’importe quoi. » Les militants craignent également que ces jeux soient l’occasion de faire passer des opérations immobilières et routières jusqu’alors repoussées. Bernard Accoyer, député de la Haute-Savoie, a récemment déclaré souhaiter « doubler le contournement d’Annecy [et] creuser le tunnel sous le Semnoz ». La candidature aux JO pourrait accélérer la réalisation de ces projets. La directive territoriale d’aménagement (DTA) de novembre 2009 mentionne que « si la candidature se concrétise, la DTA sera modifiée pour localiser les grandes infrastructures nécessaires à cette manifestation ». « Le monde à l’envers » , s’insurgent les membres du CAO, pour qui « c’est aux JO de se plier à la directive et non l’inverse ».

Créé en janvier 2009, le CAO regroupe des associations environnementales, des partis politiques et des citoyens non encartés. Sa création a été assez mal perçue au début. Pour le maire, Jean-Luc Rigaut (Nouveau Centre), « il est fondamental que ce type de projet – par essence sportif – rassemble tout le monde, qu’il n’y ait plus de droite, de gauche, de Verts, mais que ce soit les tripes qui parlent et l’engagement de tout un pays ». « C’est vrai que la commission Sport au conseil régional est la seule où tous les partis s’entendent bien, y compris avec le FN », reconnaît une élue.

Mais, le 9 juillet 2009, l’apparent consensus se dissout. Les Verts, le PG et le NPA s’opposent au vote d’une subvention de la région aux JO de 2,5 millions d’euros . « Deux mois avant que ça n’arrive en assemblée, l’exécutif régional avait déjà fait la tournée dans les stations pour annoncer le déblocage de cette subvention. À quoi sert-on ?, s’agace Renée-Alice Poussard, des Verts. Les JO ressemblent à un rouleau compresseur, tout le monde doit suivre ! » Au conseil municipal d’Annecy, Philippe Metral-Boffod, du NPA, est le seul à avoir voté contre l’engagement de la candidature. « À plusieurs reprises, on a proposé des débats contradictoires. La municipalité a refusé par deux fois la consultation des Annéciens. »

Peut-être craignent-ils un remake de Denver (Colorado). En 1972, un référendum municipal portant sur l’organisation des JO d’hiver de 1976 voit le « non » largement l’emporter. Dans les Alpes, les référendums locaux ont conduit aux retraits des candidatures d’Aosta, Val Gardena, Lech am Arlberg (Autriche), Obergoms et Oberland Bernese (Suisse). À Innsbruck, en Autriche, qui avait accueilli dans l’urgence les JO de 1976, 70 % des habitants refusent l’organisation des jeux de 2002. Turin est bien placé pour témoigner des impacts désastreux des jeux quatre ans après les avoir organisés. Les installations de sport alpin qui avaient coûté plusieurs millions d’euros et nécessité le déboisement de la moitié d’une montagne sont aujourd’hui à l’abandon. Le grand hôtel de 120 chambres construit au pied des installations est fermé. « Albertville, rappellent les membres du CAO, c’est 115 millions d’euros de déficit, 550 entreprises de l’artisanat qui ont déposé le bilan. » Bernard Delcroix, de la chambre de commerce de Chambéry, reconnaît que « l’événement était trop grand pour la Savoie et ses PME, qui n’ont pas pu profiter des bénéfices directs des retombées ».

Si ses 35 canons à neige ont placé Vancouver sous le feu des critiques, l’expropriation générée par ces JO d’hiver a été moins médiatisée. Ces jeux se tiennent en effet sur des terres autochtones non cédées à l’État canadien. Les opposants sur place dénoncent également les hausses de loyer et les programmes immobiliers de haut standing.
« Les personnes autour d’Annecy vivant dans des situations très précaires seront les premiers à subir les effets des JO, comme la spéculation immobilière » , alerte un militant des Amis de la Terre. De Pékin à Vancouver, en passant par Munich et Annecy, les comités anti-olympiques se multiplient. Parfois dans le déni des droits de l’homme. À Pékin en 2008, des dizaines de journalistes, blogueurs, militants ont été arrêtés, placés en résidence surveillée ou expulsés pour avoir fait entendre leur opposition. « Lorsqu’on ne se heurte pas à des régimes forts, c’est à du silence que l’on se confronte, analyse Michel Caillat [^2], sociologue du sport. Il est rare que dans les institutions, les médias, et même les mouvements progressistes, on donne la parole sur le sport en tant que fait social total. »

[^2]: Le Sport, éd. du Cavalier bleu, mai 2008.

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