Des affaires à répétition

Représentant caricatural du productivisme et dévot du progrès, Claude Allègre aimerait faire taire Politis. Les enjeux d’un combat qui n’est pas seulement le nôtre.

Denis Sieffert  • 20 mai 2010 abonné·es

C’est à la fois un paradoxe et un contretemps. Claude Allègre poursuit Politis , ainsi que Geneviève Azam, Denis Clerc, Benjamin Dessus, Jean Labrousse, Gus Massiah, Michel Mousel et Jacques Testart pour un texte bien modéré à côté de tout ce qui a été dit et écrit à son sujet depuis. Nos estimés confrères Hervé Kempf ( le Monde ) et Sylvestre Huet ( Libération ), pour ne citer qu’eux, ont mis au jour dans leurs écrits les innombrables fautes et erreurs factuelles commises par l’ancien ministre dans un livre publié en février dernier, l’Imposture climatique (Plon). Des scientifiques éminents, comme le climatologue suédois Håkan Grudd, se sont indignés que Claude Allègre ait pu falsifier une courbe représentant l’évolution de la température de l’an 500 à 2000, qu’il a prolongée à sa guise pour en inverser la signification [^2]. Le procédé est qualifié par Håkan Grudd, cité par Sylvestre Huet, de « trompeur et contraire à l’éthique » . Citons encore le physicien Sébastien Balibar, qui, dans Télérama du 5 mai, s’exclame à propos de Claude Allègre : « Tant d’erreurs et de contrevérités jettent le doute sur sa rigueur scientifique. »

Mais alors, qu’est-ce qui aura provoqué l’ire de Claude Allègre ? Certes, la polémique lui va bien. Elle fait vendre ses livres, même truffés d’inexactitudes. Cela fait longtemps que l’ancien directeur de l’Institut de physique du Globe n’écrit plus ou ne parle plus pour ses pairs mais à tous ceux – téléspectateurs de talk-shows et lecteurs de news – que son discours rassure. Notre hypothèse est que cet article tombait mal dans l’ambitieux parcours d’un homme qui entrevoyait de nouveau un maroquin ministériel. Peut-être aussi a-t-il été irrité par l’évocation de sa première affaire, celle du volcan de la Soufrière, en juillet 1976 [^3], qui inaugure une carrière de polémiste. Mais, par-dessus tout, nous avons la faiblesse de penser qu’il ne déplaît pas à Claude Allègre d’essayer de faire taire Politis . Ce journal qui fut le premier, dès 1988, à créer une rubrique d’écologie hebdomadaire. Depuis, tout ou presque nous a opposés : le nucléaire, les OGM, le traitement des déchets, et aujourd’hui le climat. Il faudrait aussi citer son calamiteux passage au ministère de l’Éducation nationale et son trop fameux « Il faut dégraisser le mammouth », qui préfigurait les suppressions de postes d’enseignants par Nicolas Sarkozy. C’est une philosophie qui nous oppose. M. Allègre est l’exemple parfait de ce que nous appelons un « scientiste ». Un positiviste échappé des premières années du XXe siècle. Un productiviste, dévot du progrès. Un adepte du « tout nouveau, tout beau », pour qui la moindre réflexion éthique ou épistémologique est une entrave à la recherche. Un homme qui est passé intellectuellement à côté des enseignements les plus tragiques du XXe siècle.

Sa faute la plus répréhensible réside en ceci que sa « philosophie » du « on trouvera bien quelque chose le moment venu » ­rencontre dans l’inconscient collectif tous les alibis de l’abandon à la fatalité. Claude Allègre est devenu l’homme qui dit en ­substance à ses contemporains : « Surtout ne changez rien à vos habitudes, la science finira bien par vous sauver ! » Comment un tel homme pourrait-il n’avoir pas de succès à la télévision et dans les librairies de gare ? N’est-il pas celui qui apporte à la brève de ­comptoir un semblant de ­crédibilité scientifique ? N’est-ce pas un peu Monsieur Prudhomme à l’Académie des sciences ? Gardons-nous cependant d’en rire. Nous le savions jusque-là dangereux pour l’évolution des savoirs collectifs. Nous le découvrons aujourd’hui redoutable pour la liberté de la presse.

[^2]: L’Imposteur, c’est lui. Réponse à Claude Allègre, Sylvestre Huet, Stock, 198 p., 12 euros.

[^3]: Citons ici un extrait du texte publié par Politis le 18 juin 2009 : « Pierre de touche de la polémique, la présence ou non de “verre frais” dans les cendres de l’éruption, marqueur d’un épisode magmatique extrêmement dangereux ». Selon plusieurs témoins au procès qui l’a ensuite opposé au volcanologue Haroun Tazieff, « dès le début septembre, Claude Allègre a su qu’il n’y avait pas de verre dans les prélèvements […] ». Mais « il aurait interdit [à ses collaborateurs] de le dire ». Le texte intégral est disponible sur notre site

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Allègre attaque Politis
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