Les inquiétudes du monde pétrolier

Hélène Crié-Wiesner  • 20 mai 2010 abonné·es

« Cette tragédie dans le golfe de Mexico ne change en rien les besoins énergétiques de l’Amérique. » Qui parle ? Un sénateur républicain, le 11 mai, lors d’une audience convoquée en urgence par le Congrès. Objectif de cet élu, dont le parti est financièrement soutenu par l’industrie pétrolière, gazière, charbonnière et nucléaire : convaincre les faiseurs de lois de ne pas se laisser prendre au chiffon rouge agité par les défenseurs de l’environnement.
La marée noire n’en finit pas de s’étendre. Le président Obama a provisoirement suspendu les autorisations de nouveaux forages en mer. Le Sénat vient enfin de commencer à étudier le projet de loi énergie-climat, destiné à limiter les émissions américaines de gaz à effet de serre. L’industrie pétrolière est aux abois.
L’opinion publique a mis en sourdine le slogan « Drill, baby, drill ! » [^2], scandé à tue-tête en 2008 durant les meetings électoraux des républicains McCain et Palin. Certains partisans de l’extension des forages sont ébranlés dans leur conviction, effrayés par cette terrible pollution qu’ils avaient crue impossible chez eux. D’autres préfèrent la boucler jusqu’à des jours meilleurs. La plupart reprennent cependant l’argument choc du même sénateur durant l’audition au Congrès : bloquer les nouveaux forages – serait-ce bien responsable ? – reviendrait à importer davantage de pétrole ; à continuer à dépendre de l’Azerbaïdjan, du Nigeria ou du Venezuela ; à déplacer les risques de pollution vers ces pays, dont les compétences sécuritaires et environnementales, c’est bien connu, sont nettement inférieures à celles des entreprises opérant aux États-Unis.

On penserait le moment idéal pour remettre en question – une fois de plus – la grande addiction au pétrole du peuple américain (quoique l’addiction ne soit pas moindre en Europe et en Asie). Apparemment non, pas plus que lors des crises précédentes : le baril à 100 dollars, l’essence qui avait triplé à la pompe en 2008, l’envolée du prix de l’électricité, rien n’y a fait. Seuls résultats tangibles : l’augmentation des ventes de voitures hybrides, et une légère diminution de la puissance moyenne des véhicules.
Faut-il placer quelque espoir dans les politiques, qui entament l’examen du projet de loi climat-énergie ? Rappelons les paroles de Barak Obama pendant sa campagne électorale : « Combattre le réchauffement climatique sera une des priorités de ma présidence, et j’y veillerai personnellement. » Qui dit « diminuer les émissions » dit forcément « réduire l’usage des combustibles fossiles », dont le pétrole. Hélas, ce texte qui n’en finit plus d’être modifié, amendé, diminué, renforcé, puis limé à nouveau, est dans un drôle d’état.

La cacophonie autour des forages n’est qu’une péripétie supplémentaire de l’histoire mal engagée de ce projet de loi. Rappel : dans l’espoir de gagner des appuis républicains, après y avoir inclus une bonne dose de soutien nucléaire, le rapporteur John Kerry a fini par y ajouter aussi l’extension des forages offshore. Patatras : voilà la marée noire qui contraint Obama à les suspendre. Du coup, le texte risque de n’être pas voté, les républicains trouvant là un prétexte de plus pour le combattre. Il est encore un peu tôt pour prédire l’avenir de la fièvre pétrolière dans ce grand pays, mais il est certain que ce qui se passe au large de la Louisiane inquiète beaucoup les professionnels de l’or noir. Et si l’incendie de la plateforme BP devait être à l’industrie pétrolière ce qu’a été, en 1979, l’accident de la centrale Three Miles Island (TMI) pour l’industrie nucléaire ? Et si les compagnies d’assurance se mettaient à réclamer des primes hallucinantes ? Et si la réglementation devenait si stricte que son coût entraîne de graves répercussions sur les bénéfices des compagnies ? Et si les Américains se mettaient à refuser le voisinage du moindre puits d’extraction ? C’est exactement ce qui s’est passé aux États-Unis après TMI : pour toutes ces raisons, pas un seul nouveau réacteur nucléaire n’a été mis en chantier après 1979 sur le sol américain. À mots couverts, le secteur pétrolier laisse déjà sourdre ses craintes. Alors, osons : et si cette marée noire n’était pas aussi catastrophique que cela ?

[^2]: « Fore, chéri, fore ! »

Écologie
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