Nucléaire iranien : La nouvelle donne

En faisant irruption dans un dossier ultrasensible, le Brésil et
la Turquie revendiquent aussi un nouveau statut sur la scène internationale.

Clémence Glon  • 27 mai 2010 abonné·es
Nucléaire iranien : La nouvelle donne
© PHOTO : PEDROSA/AFP

L’affaire du nucléaire iranien est-elle en train de provoquer une redistribution des cartes au plan international ? L’initiative du Président brésilien, Lula, et du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, qui se sont rendus à Téhéran le 17 mai, permet au moins d’en faire l’hypothèse. On se souvient que, ce jour-là, les deux hommes ont signé un accord permettant à la république islamique d’enrichir de l’uranium hors de ses frontières. La Turquie accepte ainsi d’entreposer 1 200 kg d’uranium iranien enrichi à 3,5 % (voir encadré) sur son territoire contre une livraison de 120 kg de combustible enrichi à 20 %, effectuée d’ici à un an. Le troc permettrait à Mahmoud Ahmadinejad d’alimenter le réacteur de recherche de Téhéran (RRT), officiellement destiné à des fins médicales. En négociant avec l’Iran sur la question de l’enrichissement de l’uranium, le Brésil et la Turquie pénètrent dans le pré carré des pays occidentaux.
L’accord signé entre les trois pays renvoie à la proposition qui avait été faite en octobre 2009 par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Peu confiante en la bonne volonté d’Ahmadinejad, l’agence onusienne l’encourageait à enrichir son uranium à l’étranger. Ainsi, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, espéraient contrôler en partie le programme nucléaire iranien.

Aujourd’hui, Mahmoud Ahmadinejad prend l’Occident à son propre jeu. Il choisit de s’entourer des deux États membres du Conseil de sécurité les plus hostiles aux sanctions, pour retourner habilement les recommandations de l’ONU. La Turquie, en froid avec Israël depuis l’attaque de Gaza en décembre 2008, et le Brésil, qui milite pour le droit à développer le nucléaire civil, constituent des partenaires privilégiés. En serrant la main d’Ahmadinejad, Lula et Erdogan s’assurent une place de choix dans les négociations. Leur irruption sur la scène internationale n’est certes pas tout à fait nouvelle. Mais, sur un dossier aussi sensible, c’est tout un système qui vacille. Les deux intrus ­brisent l’isolement diplomatique de l’Iran. Si elles ne sont pas forcément ravies de cet état de choses, les grandes capitales peuvent difficilement stopper un accord qu’elles ont elles-mêmes imaginé. Le Brésil, huitième puissance économique mondiale, et associé régulier des débats du G8, pèse déjà sur la scène internationale. La Turquie ne bénéficie pas de cet avantage, qu’elle compense par un positionnement particulier au sein du monde musulman.

Face à ce nouveau front des pays émergents, les premières failles d’une ­organisation telle que l’ONU se dessinent. Dès le lendemain de l’accord, Hillary Clinton annonçait un nouveau projet de sanction pénalisant l’Iran. Elle souhaite interdire la vente de huit nouveaux types d’armement lourd à Téhéran. La Chine, la Russie et la France, qui avaient d’abord jugé « positif » l’accord tripartite, soutiennent le projet. Cependant, Bernard Kouchner reste optimiste et estime que la signature de l’accord « clarifie » la situation. En allant jusqu’à rendre hommage à l’engagement de Brasilia et d’Ankara, le ministre des Affaires étrangères ménage tout le monde. Le Brésil reste un marché important pour la France notamment pour la vente de Rafale. Si les affirmations du régime islamique, qui plaide pour un nucléaire purement civil, sont suspectes, il n’est pas question de se mettre à dos la puissance de demain.
L’accord tripartite du 17 mai pourrait bien annoncer un bouleversement dans un paysage international datant de la fin de la guerre froide.

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