Bienvenue dans la jungle du marché !

Une circulaire revoyant l’attribution des subventions aux associations risque de porter un coup fatal à un secteur déjà malmené par sa mise en concurrence avec le privé lucratif.

Pauline Graulle  • 1 juillet 2010 abonné·es
Bienvenue dans la jungle du marché !
© PHOTO : BERNARD/AFP

Au départ, elle est passée inaperçue. Jusqu’au jour où, un peu par hasard, une responsable associative s’est penchée sur le texte. Et n’en a pas cru ses yeux ! Présentée le 18 janvier et publiée le 20, la circulaire « relative aux relations entre les pouvoirs publics et les associations », dite « circulaire Fillon », est une bombe à retardement juridique qui s’apprête à dynamiter le secteur associatif.
Prétendant « clarifier » , « sécuriser » et « simplifier » les relations financières entre pouvoirs publics et associations, le texte met en place un nouveau modèle de convention de subvention « eurocompatible ».
Mais pour le Collectif des associations citoyennes, qui s’est créé récemment et a déposé un recours devant le Conseil d’État, ce nouveau système est une usine à gaz qui a pour objectif de réduire de manière drastique le recours aux aides publiques, notamment celles versées par les collectivités locales : « Avec cette circulaire, le gouvernement fait coup double : il profite des difficultés financières des collectivités locales pour les pousser à asphyxier leurs propres partenaires associatifs, avec qui elles risquent de se retrouver en conflit », analyse ainsi Michel Dinet, président (PS) du conseil général de Meurthe-et-Moselle, et signataire de l’Appel lancé par le Collectif.

Comment une « simple » circulaire en arrive-t-elle à toucher, au cœur même, le tissu associatif ? Le procédé est complexe : jusqu’à 200 000 euros de financement public sur trois ans, « les concours financiers versés sous forme de subventions ne sont soumis à aucune exigence particulière » , indique la circulaire – qui a abaissé volontairement ce seuil, fixé à 500 000 euros par l’Europe. Au-delà, les aides publiques seront transformées en « compensations », destinées à rémunérer le coût d’une ­prestation réalisée à la demande des collectivités territoriales ou de l’État. « Non seulement cela revient à mandater les associations pour des projets précis, ce qui va entraver la liberté – et donc l’innovation – associative en mettant le secteur sous le contrôle de ses financeurs, souligne Didier Minot, président du réseau d’éducation populaire Récit (Réseau des écoles de citoyens), mais les “compensations” seront alignées sur les prix du privé et, au final, ne pèseront pas bien lourd. » Alors, pour « rentrer dans les clous », les associations pourraient être contraintes de revoir au rabais la formation de leurs personnels, d’augmenter leurs tarifs, ou de faire une croix sur des services de qualité…

La constitution du dossier de subvention créé par la nouvelle convention ne sera pas, là encore, une mince affaire. Des dizaines de pages à remplir, un traçage au peigne fin des activités « subventionnées », la nécessité de mettre en place une comptabilité analytique… « Cette convention est intéressante du point de vue de la transparence, reconnaît Philippe Dupuis, délégué à l’Acepp, qui regroupe 800 lieux d’accueil de jeunes enfants, crèches, haltes-­garderies, centres de loisirs, etc. Mais le dossier type de plusieurs dizaines de pages est impossible à remplir pour beaucoup d’associations de taille moyenne, qui n’auront pas les moyens techniques et humains d’entrer dans ces logiques de gestion. »

Résultat, cette nouvelle convention très contraignante pourrait conduire à la disparition de pans entiers du secteur associatif ou, pourquoi pas, à leur absorption par de grands groupes privés. Autre débouché probable, la concentration d’associations, petites ou moyennes, qui seront bien obligées de se regrouper dans de grandes structures de plus en plus éloignées du terrain, du bénévolat, de la participation citoyenne – en clair, ressemblant étrangement au fonctionnement du lucratif, pour pouvoir lui tenir tête. « Le tissu associatif, que l’on sait pourtant particulièrement important en ces temps de crise, va être durement touché, regrette Alain Manac’h, ancien délégué de la Confédération des foyers ruraux. Après les services publics sabrés par la RGPP [révision générale des politiques publiques], les associations qui s’occupaient, par exemple, de l’animation en milieu rural vont disparaître pour être remplacées par des filiales de grands groupes sans ancrage sur le territoire, sans désir de créer du lien social local… Quant aux citoyens, ils deviendront des “consommateurs” de services. »

Faire entrer de plain-pied le secteur dit « non-marchand » dans la plus pure économie de marché, voilà précisément le dessein inavoué du gouvernement. « Sous prétexte ­d’épouser les directives européennes, la majorité a entrepris une attaque grave et délibérée de la décentralisation, de la respiration démocratique citoyenne et de tout ce qui n’entre pas dans les critères marchands. Or, le secteur associatif, qui incarne ces trois choses à la fois, est une cible logique ! » , estime Michel Dinet. Même son de cloche de Didier Minot, pour qui la « circulaire Fillon » entérine ce « tournant dans la conception de la vie associative. Le gouvernement réduit le champ associatif, porteur de valeurs démocratiques, de lien social, d’ouverture à tous les publics, d’engagement citoyen et de bénévolat, etc., à une vulgaire activité économique ». « En arrière-fond, les pouvoirs publics ont dans l’idée qu’ouvrir des marchés permettra de relancer la croissance alors que la crise économique s’installe durablement en France » , ajoute Yann Fiévet, économiste et président de l’association Action consommation. Le privé partout et pour tout, un drôle de remède pour les naufragés de la crise…

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