Assemblée : comme un théâtre d’ombres

Si le débat parlementaire a pu, brièvement, donner un écho à des idées peu médiatisées, il a surtout donné l’impression de valider un scénario déjà écrit.

Sylvain Quissol  • 16 septembre 2010 abonné·es

« Staliniens ! Staliniens ! Fascistes ! » Ce mardi 7 septembre, les députés de l’UMP se déchaînent contre leurs collègues du Parti communiste et du Parti de gauche, coupables à leurs yeux d’avoir voulu déposer sur le pupitre du Premier ministre une pétition exigeant le retrait du projet gouvernemental. Expression presque incongrue de la colère populaire sous les ors de la République. En réponse, François Fillon évoque les manifestations avec la morgue habituelle du pouvoir : « Ceux qui ont choisi de manifester aujourd’hui doivent être respectés » , mais « ceux qui ont choisi de ne pas manifester doivent aussi être respectés » . Il insiste lourdement sur la « responsabilité professionnelle des non-grévistes » avant de se féliciter des effets de la loi sur le service minimum… Les débats, c’est le moins que l’on puisse dire, ne sont pas entamés sous le signe de l’apaisement. La suite est plus calme. Éric Woerth déroule tranquillement l’argumentaire de l’UMP. Il souligne la nécessité de s’aligner sur les autres pays européens. Puis il martèle l’argument démographique. « Vous êtes bien le ministre des riches » , réplique Jean-Marc Ayraud (PS), tandis que les allusions à Liliane Bettencourt fusent pendant les interventions des ministres et des élus UMP.

Les orateurs de l’opposition dénoncent un démantèlement du système de répartition, l’injustice de la situation des femmes, aux carrières souvent discontinues et aux bas salaires. Ils reviennent sur le débat dans le débat, celui qui concerne la pénibilité. Il en résulte plusieurs propositions d’amendement. Pour financer son contre-projet, le PS suggère de taxer une partie des revenus financiers et d’engager une politique de l’emploi. Jean-François Copé ouvre la chasse aux «  fiscalistes » . Il estime que l’augmentation des taxes favorise les délocalisations. Au total, rien d’original. Tous les arguments et contre-arguments ont été entendus cent fois. On a le sentiment d’un ­théâtre d’ombres où polémiques et incidents n’ont pas d’autre objet que de donner le change. La députée du PG Martine Billard propose tout de même une autre voie, celle d’une nouvelle répartition entre le capital et le travail. Pour elle, la diminution des cotisations patronales est une cause importante du déficit des caisses de retraite. Une autre conception de la société semble se dessiner. « Qu’il nous soit donné de réfléchir à ce nouveau temps de vie à la retraite, à la place et au rôle social de chacun, digne d’intérêt, même en dehors de toute activité productive » , renchérit Roland Muzeau (PC). « Pour nous, la retraite est un droit, pas une aumône ; il est légitime de ne pas passer toute sa vie à la gagner. C’est un choix de société, un choix de répartition des richesses » , ajoute Martine Billard. Pendant quelques minutes, l’hémicycle offre au moins une tribune à des idées ayant un faible écho dans le débat médiatique. Ce qui ne manque pas d’irriter la droite.

« Faire payer le capital. Beau slogan qui fait toujours son effet dans les assemblées générales ! » , ironise Pierre Méhaignerie (UMP). Les élus de la majorité et le gouvernement soulignent que la gauche, une fois revenue au pouvoir, n’abroge jamais les réformes de la droite sur les retraites. « Depuis 1993, la gauche n’a jamais tenu un seul des engagements qu’elle a pris en matière de retraite » , rappelle François Fillon. Le ressassement des mots et des arguments donne l’impression d’un scénario déjà écrit, et d’un débat dont l’issue est connue. Les blocages organisés par la majorité présidentielle ont pour effet de vider le processus parlementaire de tout contenu démocratique. Comme si rien ne pouvait se jouer dans l’hémi­cycle, et comme si tout se jouait dans la rue. L’histoire récente va d’ailleurs dans ce sens. Le contrat d’insertion professionnelle (CIP), en 1993, et le contrat première embauche (CPE), en 2005, n’ont-ils pas été retirés après un vote favorable du Parlement ? La parole est donc au mouvement social.

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Pourquoi il faut un référendum
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