Les pays riches en plein chaos

Gérard Duménil  • 23 septembre 2010 abonné·es

La lecture de la presse laisse le lecteur désorienté. Un jour, on y lit que les grandes économies sont sur la voie de la reprise. Le lendemain, que les prévisions ont été revues à la baisse. Mis à part la prétendue embellie de l’économie allemande, dont le Monde ne cesse de vanter les vertus « merkelliennes » imaginaires, l’humeur en ce mois de septembre est plutôt morose concernant les économies du Centre. Tout, dans la crise, indiquait qu’elle serait durable. Elle fut l’expression de l’emballement, dans le néolibéralisme, des processus visant à promouvoir les revenus des plus aisés – les classes capitalistes et les hauts gestionnaires et fonctionnaires, leurs alliés. Seul un changement profond des règles économiques et du jeu politique pouvait permettre de sortir de l’impasse. Où est-il ?

Ainsi, aboutit-on au diagnostic paradoxal d’une sortie de crise dans certains pays de la Périphérie – où la misère sévit toujours – et de la perpétuation de la crise dans nombre de pays du Centre. Un juste retour de bâton ? Je ne veux pas parler ici du néolibéralisme en général, mais d’un de ses aspects particuliers, la « mondialisation néolibérale » : un moyen dans la stratégie néolibérale, et non des moindres. Car, dans ces destins divergents, elle joue un rôle majeur.
L’économie des États-Unis a été délibérément placée, par l’ouverture des frontières commerciales et la libre mobilité internationale des capitaux, en concurrence avec une Périphérie de pays à bas coût de main-d’œuvre et faible taux de change, qui, elle-même, ne cesse de s’engouffrer dans les créneaux de haute technologie. Il en est résulté un rétrécissement relatif du secteur industriel états-unien et une croissance cumulative du déficit du commerce extérieur (au moins jusqu’à la crise, qui calme les effets sans remédier aux causes). Les flux de dollars vers l’étranger, qui résultent de ce déficit, reviennent aux États-Unis sous forme de placements, provoquant ce qu’on peut appeler une « dette externe » cumulative [[Dans ce financement étranger, il y a aussi des achats d’actions qui ne sont pas de la nature d’une dette.
Elles sont également menaçantes, car elles peuvent être vendues à tout moment.]]. Cette dette vis-à-vis du reste du monde a pour corollaire celle des agents consommateurs et investisseurs nationaux, les ménages et l’État.

En simplifiant à peine, on peut dire que, pour soutenir l’activité économique, n’existent que deux leviers : l’augmentation des emprunts des ménages et celle des emprunts de l’État. Le premier a été utilisé jusqu’à la rupture, cause immédiate de la crise ; et le second, le déficit public et la croissance de la dette de l’État, est maintenant poussé à l’extrême. On comprend le désarroi, car, sans toucher aux sacro-saintes règles de la mondialisation néolibérale, on voit mal l’issue.
On nous dira que la situation états-unienne est particulière, ce qui est indéniable. Prenons le cas du Japon. Avant la crise actuelle, ce pays était déjà entré en stagnation. Un des leviers de la stimulation était l’existence de taux d’intérêt particulièrement peu élevés. Les capitaux circulant librement au plan mondial, les investisseurs financiers se sont précipités vers les banques japonaises pour emprunter. Ces fonds ont été ensuite convertis dans d’autres monnaies et placés à des taux rémunérateurs, par exemple en bons d’État brésiliens. L’écart des taux d’intérêt permet de faire ainsi d’énormes bénéfices, moyennant des avances de fonds insignifiantes. Ce n’est pas à la portée de tout le monde, mais pour les gros le mécanisme est bien huilé. Ces pratiques portent le nom mystérieux de « carry trade », sur lequel beaucoup de choses obscures ont été écrites. Il s’agit en fait de la mondialisation du système bancaire, une composante de la mondialisation néolibérale qu’on pouvait escompter. Conséquence pour l’économie japonaise, mis à part les bénéfices des banques : le taux de change du yen fluctue de manière spectaculaire au rythme de ces flux financiers, plaçant potentiellement l’économie japonaise en difficulté, comme actuellement (au bénéfice de l’Allemagne).
Réunissez les fils et vous aurez la solution de l’équation : mondialisation de la production + mondialisation de la finance = chaos économique international.
Et je n’en ai donné que deux illustrations.

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