Roms : comment font les villes de gauche ?

La politique nationale d’évacuation des camps de Roms entraîne une partition entre les municipalités qui s’alignent et celles qui cherchent des solutions pour reloger, soutenir, soigner et scolariser.

Ingrid Merckx  et  Noëlle Guillon  • 9 septembre 2010 abonné·es
Roms : comment font les villes de gauche ?
© PHOTO : HUGUEN/AFP

« La France n’est pas un terrain vague ! » , a jeté Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, en conclusion de sa conférence de presse du 30 août sur la « mise en œuvre des mesures d’évacuation des campements illicites ». Suite du communiqué de l’Élysée daté du 28 juillet jugeant « inadmissible la situation de non-droit qui caractérise les populations roms venues d’Europe de l’Est sur le territoire français ». Entre 200 et 300 campements illégaux étaient ainsi recensés sur un total de 600. D’où viennent ces chiffres ?, s’étonnent les associations de soutien aux migrants, sachant que chaque camp démantelé fait des petits… Seuls chiffres qu’elles avancent : il y aurait entre 15 000 et 20 000 Roms en France et 5 000 à 7 000 enfants en âge d’aller à l’école. 128 campements auraient déjà été évacués, affirme le ministère, et 977 Roms « raccompagnés » dans leur pays d’origine. Car, a précisé le chef de l’État, les évacuations doivent s’accompagner de l’expulsion « des ressortissants d’Europe orientale en situation irrégulière » . C’est-à-dire en France depuis plus de trois mois sans titre de séjour, comme tout citoyen européen. D’où la présence de camions procédant à des contrôles biométriques lors des évacuations : fichage des empreintes et photo numérisée puis distribution d’obligations de quitter le territoire (OQTF) ou d’arrêtés de reconduite à la frontière (ARF) depuis que les OQTF pour « troubles à l’ordre public » sont contestées en justice. Éric Besson a d’ailleurs envisagé une révision de la loi sur l’Immigration pour remédier à cet imprévu. « L’idée, c’est de créer une nouvelle forme de délinquance pour justifier des expulsions », souligne Malik Salemkour, vice-­président de la Ligue des droits de l’homme et membre de Romeurop.

« Venir au secours des Roms, est-ce se battre pour le maintien de campements aussi insalubres que précaires, ou est-ce au contraire aider à un retour digne et durable dans leur terre d’origine ? » , a lancé Brice Hortefeux, figeant une seule alternative : soit la misère, soit l’expulsion. Les élus sont souvent à l’origine des évacuations, a-t-il enchaîné, en citant les exemples de Martine Aubry, maire socialiste de Lille, et de Daniel Davisse, maire communiste de Choisy-le-Roi. « Demander l’évacuation d’un camp n’est pas forcément scandaleux puisqu’il y a des risques de responsabilité, précise Malik Salemkour. Le scandale, c’est de recourir à la force pour évacuer sans reloger, de distribuer des OQTF irrégulières, et de mettre en avant les retours volontaires quand on ne laisse pas d’autre choix aux gens que la rue… »

La question des camps roms n’est pas nouvelle. Et elle est souvent épineuse pour les municipalités, dont certaines, comme Lieusaint (77) et Saint-Denis (93), se distinguent par des bonnes pratiques engagées depuis des années. Reste que la politique nationale d’évacuation lancée cet été entraîne une partition entre les mairies qui suivent la ligne du gouvernement, y compris à gauche, comme Saint-Étienne et Dijon, et celles qui cherchent à s’en démarquer, y compris à droite, comme Bordeaux et Marseille. À chaque évacuation, la procédure est la même : le propriétaire du terrain ou du bâtiment, particulier, collectivité ou État, dépose une demande d’expulsion, qui est ordonnée, ou pas, par le juge, et exécutée, ou pas, par la préfecture. Un maire n’a pas le pouvoir de bloquer une évacuation. Mais il peut mettre les personnes à l’abri, ce qui permet assistance juridique, suivi médical et scolarisation des enfants.

Saint-Étienne collabore aux expulsions

Ville pilote ? Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux ont démarré l’opération d’évacuation dans la capitale stéphanoise. Pour une bonne raison, selon les associations de solidarité locales : la mairie, « pourtant socialiste », partage « une identité de vues et de pratiques » avec cette politique. La précédente mandature, UMP, évacuait les camps de Roms à tour de bras. Le passage de l’hôtel de ville à gauche avait soulevé quelques espoirs, vite retombés : le nouvel élu, Maurice Vincent (PS), a fait savoir que l’accueil des Roms n’était pas de sa responsabilité, mais de celle de la Roumanie, de l’Europe ou de l’État, et que Saint-Étienne comptait déjà « assez de pauvres ». Résultat, selon les associations : la mairie « collabore aux expulsions » . L’évacuation du bidonville dit « de Montmartre » le 6 août aurait été faite à sa demande, sans proposition de relogement. Les 80 expulsés s’y étaient installés voici quelques mois à la suite de précédentes expulsions. Et, il y a deux ans, ce même terrain avait justement été proposé à des familles roms par la mairie, soulevant la colère des associations opposées à l’installation d’un bidonville. « Le pire, s’offusque Georges Günther, membre du Réseau de solidarité avec les Roms de Saint-Étienne, est que cette ville est peut-être la seule de France où il y a de la place ! Depuis 1999, nous sommes passés de 200 000 habitants à 170 000. Il existe de nombreuses solutions d’hébergement et de logement ! » Deux cents Roms se sont retrouvés à la rue à la suite de l’évacuation de ce bidonville puis de six squats, avec intervention des forces de l’ordre, distribution d’OQTF et d’ARF. Le tribunal administratif croule sous les recours.

Dijon se fait un devoir d’expulser

Cinq familles roms évacuées de cinq squats en un mois : c’est le triste bilan que tirent le Collectif dijonnais de soutien aux Roms et le collectif Un toit pour toi. Sans motif puisque les occupants étaient en France depuis moins de trois mois, et qu’ils avaient trouvé refuge dans des maisons en attente de travaux, à Dijon d’abord puis à Chenôve, une commune voisine, sans que leur présence ait été remarquée avant quarante-huit heures, ce qui les rendait inexpulsables sans décision de justice. D’intervention en intervention, les deux mairies socialistes s’en sont tenues à des solutions musclées et sans jamais proposer d’alternative, pour aboutir à une nouvelle ­expulsion le 22 août sur décision de la cour d’appel. « Il est du devoir d’un gouvernement de reconduire à la frontière des étrangers en situation irrégulière » , a résumé le maire socialiste de Dijon, François Rebsamen, le 3 septembre dans le Parisien. En annonçant dans la foulée qu’il ne participerait pas à la mobilisation nationale contre la xénophobie d’État organisée le 4. Sauf que ces cinq familles n’étaient pas en situation irrégulière. « L’occupation illégale de terrains publics ou privés n’est pas permise. Les maires ont raison de saisir la justice pour les expulser » , a-t-il ajouté. De quoi excéder des bénévoles qui dénoncent la répression subie par les Roms à Dijon depuis deux ans. Le tout sur fond d’affaires pas très claires, de procédures pas bien régulières et de « discrimination directe ou passive » de la part des autorités.

Montreuil cherche des solutions

Les 30 juillet et 14 août, 36 Roms ont été expulsés de deux immeubles privés. Voyant les hommes emmenés au commissariat, séparés des femmes et des enfants, un député villepiniste, Jean-Pierre Grand, s’est laissé aller à évoquer les « rafles pendant la guerre » . La mairie Verte de Dominique Voynet a rapidement proposé un hébergement provisoire dans un gymnase. Le 25 août a été créée une plate-forme unitaire de solidarité permettant d’assurer un hébergement relais dans des locaux associatifs. Une aide juridique a également été apportée aux hommes du groupe, notamment pour déposer des recours contre les OQTF distribuées. Si la mairie « avance sur des œufs », pour dépasser des désaccords internes et informer les riverains, les associations saluent ses efforts. « Depuis l’arrivée de Mme Voynet, 350 Roms sont domiciliés à Montreuil. Pour ce nouveau groupe, dont les enfants vont être scolarisés, une solution devrait être trouvée. Mais le problème reste délicat, les lieux d’accueil ne sont pas infinis… », explique une militante de RESF.

Lille distingue évacuations et expulsions

La polémique sur la date fait rage. François Fillon, Éric Besson et Brice Hortefeux sont montés au créneau lundi 30 août contre Martine Aubry. Ils affirment que la Première secrétaire du PS a saisi la justice le 19 juillet pour demander, en tant que présidente de la communauté urbaine de Lille, l’expulsion par la force d’un camp de Roms à Villeneuve-d’Ascq. Mais ces évacuations correspondaient à des demandes déposées « avant le mois de juillet » , se défend Martine Aubry, également maire de Lille. Soit avant que les Roms évacués soient également menacés d’expulsion du territoire. Détail important car Lille Métropole met en avant une politique d’accueil, notamment via du relogement en mobile home. Sauf que ce qui vaut pour Lille ne vaut pas pour toute la communauté d’agglomérations, d’après les associations. « La communauté a lancé un appel vers 15 municipalités pour installer des villages d’insertion. Seules 5 ont répondu positivement », déplore Gérard Minet, de la Ligue des droits de l’homme. La politique d’accueil défendue par Martine Aubry est contestée au sein de la communauté, y compris à gauche. Ainsi, Gérard Caudron, maire divers gauche de Villeneuve-d’Ascq, réclame le départ pur et simple des Roms de sa commune. En interpellant le 1er septembre le préfet du Nord, Martine Aubry a tenu à distinguer « l’“évacuation” éventuelle d’un terrain pour des raisons de sécurité des occupants et l’“expulsion” de Roms vers leur pays d’origine ».

À Choisy-le-Roi, « pas de romantisme »

Le 12 août, près de 70 Roms ont été expulsés d’un camp situé sous l’autoroute A86, après quatre mois d’occupation. Une précédente expulsion avait déjà eu lieu non loin en décembre 2002, à la suite d’une visite de Nicolas Sarkozy. « Mais, à l’époque, le préfet avait débloqué de l’hébergement d’urgence. Pour l’expulsion de cet été, devant le refus de la préfecture, c’est la ville qui a dû mettre un gymnase à disposition », explique Jean-Joël Lemarchand, premier adjoint au maire PC Daniel Davisse. Pour des solutions à plus long terme, il évoque des « réflexions en cours » avec les associations. Le 30 août, elles ont signé avec la mairie un communiqué dénonçant « la politique du gouvernement à l’encontre des Roms » et « l’attitude inhumaine du préfet », appelant « à la résistance citoyenne et à la solidarité », et réclamant une réunion d’urgence avec tous les services concernés. Mais Bruno Dufour, de Romeurope, attend davantage d’engagement de la mairie. « Nous voudrions une résistance plus concrète, par exemple sur la scolarisation. Alors que sept dossiers d’enfants sont prêts, il semble que le maire recule… » La mairie peut se targuer d’avoir par le passé logé ­quatre familles roms dans trois pavillons lui appartenant. « Certaines refusent de payer leur loyer symbolique. Sur la question des Roms, il faut dépasser le romantisme », prévient Jean-Joël Lemarchand. Pour Bruno Dufour, « il s’agit pour la mairie de trouver le juste milieu entre envoyer un message de gauche aux associations et le coût électoral que peut représenter l’accueil des Roms, même dans une municipalité communiste… ».

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