Services lucratifs

Un décret publié cet été obligera le secteur social et médico-social à faire des appels à projets.

Clémentine Cirillo-Allahsa  • 9 septembre 2010 abonné·es

Publié en pleine trêve estivale, un décret [^2] constitue une révolution pour près de 35 000 prestataires du secteur social et médico-social. Le gouvernement a présenté vendredi 3 septembre le contenu de ce texte applicable depuis le 1er août à l’ensemble des établissements sociaux ou médico-sociaux (ESMS) faisant appel à des financements publics pour créer, transformer ou étendre leur activité.

Il est l’émanation de la loi Hôpital, patients, santé et territoires de 2009 et de la transposition de la directive européenne ouvrant les services à la concurrence. Le recours systématique à la procédure d’appel à projets par les pouvoirs publics prescripteurs (collectivités, agences régionales de santé ou État par l’intermédiaire des préfets) est au cœur de cette législation qui introduit une logique concurrentielle en vue d’un futur marché très lucratif.
Officiellement, pour Fabrice Heyriès, directeur général de la Cohésion sociale, l’appel à projets veut «  réduire les échéances d’aboutissement des projets » et « donner une meilleure définition des besoins, à l’heure où l’argent public se fait rare ». Même si la question des coûts n’est pas le seul critère valide pour sélectionner les offres, les acteurs sociaux sont inquiets.
Président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées et responsable d’établissement dans le Val-de-Marne, Pascal Champvert estime que « cela risque de bloquer le développement des établissements publics qui, comme les associations, peinent à trouver des crédits, tandis que les structures commerciales lèvent de l’argent facilement auprès de la Bourse ou via des emprunts bancaires ». Ce fonctionnement bouleversera à terme le champ social et médico-social, où le secteur public représente 50 % des prestataires, l’associatif 30 % et le privé lucratif 20 %.

Le décret pose aussi le problème de l’évaluation des besoins, confiée aux autorités prononçant l’appel d’offres et fondée sur des schémas régionaux de développement. En effet, ces derniers, fixant les intentions des pouvoirs publics, sont indexés sur les moyens alloués par l’État « dans un souci de responsabilisation des acteurs » , précise Fabrice Heyriès. Sur le terrain, « plusieurs régions, parmi lesquelles Aquitaine, Paca et Alsace, voient déjà leurs engagements pour 2010 bloqués faute de financement dans des secteurs tels que la gérontologie et le handicap. Il manquerait 100 millions d’euros » , estime David Causse, directeur du secteur sanitaire et coordinateur du pôle ESMS à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne.

Pour Pascal Champvert, le dispositif, prévoyant la mise en place de commissions d’évaluation des dossiers, au sein desquelles les professionnels n’auront qu’une voix consultative, représente « un recul de la démocratie sociale. Le jour où il n’y aura plus d’enveloppe, on ne se posera plus la question des besoins ».
« La moitié des agences régionales de santé ont déjà notifié leur intention de lancer des appels à projets cette année » , affirme Laurent Vachey, directeur de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Une révolution en forme de régression.

[^2]: Décret n° 2010-870 du 26 juillet.

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