La culture du silence

Claude-Marie Vadrot  • 7 octobre 2010 abonné·es

En avril 2006, à l’ambassade de France, Bouygues et Vinci offraient le champagne à la presse pour célébrer le contrat – non encore signé – par lequel les Ukrainiens leur confiaient la réalisation du nouveau sarcophage. Explications, dossier de presse, sourires, rien ne manquait pour célébrer une « réussite » française : engranger un maximum d’argent public sur le malheur nucléaire, auquel les deux sociétés contribuent régulièrement en installant des centrales partout dans le monde : Areva, les réacteurs, et le BTP français, le béton. Il y eut ensuite, en 2007, la vraie et discrète signature du contrat. Et depuis, plus rien : laissez-nous tranquilles, on travaille.

Sur place, interdiction de parler à qui que ce soit sous peine de « rappel immédiat à Paris » par la direction, et les journalistes sont fermement éconduits sur ordre de Philippe Régnault, le responsable du chantier. Quelques photos faites à la sauvette provoquent des grognements. À Paris, la responsable du service de presse de Vinci, Vanessa Lattès, explique aussi cyniquement qu’il n’est pas question de parler aux journalistes, de répondre à quelques questions simples sur le retard des travaux, sur la radioactivité du site ou sur les difficultés rencontrés.

Pourquoi cette omerta ? C’est comme cela, un point c’est tout, transmet la dame chargée de répercuter le refus d’explications de la part d’une société qui n’utilise que de l’argent public. Quand aux personnes contactées chez Bouygues, elles n’ont jamais rappelé. Ce silence n’est pas nouveau, Martin Bouygues, interrogé sur la construction d’une énorme mosquée pour le dictateur mégalo du Turkménistan, lors d’un reportage antérieur, nous opposa cette fin de non-recevoir : « Cela ne vous regarde pas. »

Si le présent reportage sur Tchernobyl, réalisé à partir des propos des Ukrainiens qui parlent et des ingénieurs qui enfreignent les consignes, comporte quelques imprécisions, ce sera faute d’avoir pu obtenir directement des renseignements auprès de Vinci et de Bouygues, qui comptent sur la distance qui sépare la France de Tchernobyl pour que nous oubliions qu’ils se sont peut-être plantés et que le réacteur ukrainien n’a pas fini d’empoisonner la région.

Publié dans le dossier
L'histoire d'une incroyable machination
Temps de lecture : 2 minutes