« Le travail contre le pouvoir »

Chez les cheminots, la grève fait rage. Reportage à la gare Saint-Lazare, à Paris, en plein cœur d’une semaine de blocages.

Pauline Graulle  • 21 octobre 2010 abonné·es

Des rails déserts, des voyageurs figés sous le panneau des départs… Gare Saint-Lazare, le temps est comme suspendu. Tout au bout du quai 27, pourtant, c’est l’effervescence. Comme chaque jour depuis mardi 12 octobre, des dizaines de cheminots déboulent pancartes à la main. Objectif de l’assemblée générale de ce vendredi 15 : reconduire la grève pour au moins 24 heures. « Dans toutes les AG de cheminots de France, la grève est maintenue. Les syndicats sont unis, la mobilisation s’amplifie », assure à des journalistes de France 3 Philippe Guiter, secrétaire fédéral de SUD-Rail. Puis, avec une pointe d’inquiétude : « Ce week-end est un tournant : certains conducteurs ont déjà perdu 1 000 euros de salaire, ça commence à faire beaucoup… »

Mais la grève sera reconduite jusqu’à lundi. Ainsi en ont décidé les quelque 200 cheminots qui applaudissent dans le hall où ils se sont rassemblés. Des conducteurs pour la plupart – plus de deux sur trois sont grévistes dans le secteur de Saint-Lazare –, mais aussi des agents d’aiguillage et quelques commerciaux. Un représentant de SUD-PTT s’est invité au rassemblement, ainsi qu’une dizaine d’enseignants d’Asnières et de Colombes : « On n’est pas là pour soutenir les cheminots, on fait la grève ensemble, c’est différent ! » , insiste un prof de sport. Les représentants de chaque syndicat se succèdent au micro. Allusions aux raffineries bloquées, aux routiers qui entrent dans le mouvement, à la répression « féroce » contre les lycéens. Mais aussi au « frère de Sarko » qui voit s’ouvrir le juteux marché de la capitalisation (voir encadré). Les députés qui ont rejeté l’amendement harmonisant leur retraite avec celle des salariés en prennent pour leur grade. Comme les médias et le pouvoir qui minimisent la mobilisation.

De même qu’au dehors le comptage des manifestants fait polémique, en interne une guerre des chiffres oppose la SNCF aux grévistes. « La direction trafique les chiffres et tente de dissuader les agents en les embrouillant sur les déclarations d’intention de grève qui doivent être données 48 heures à l’avance » , raconte Christophe Abadi, de SUD-Rail. Sans doute les huiles des chemins de fer redoutent-elles un nouvel épisode de l’hiver 2009, lorsque Saint-Lazare avait été paralysée pendant des semaines. Ou encore les grandes grèves de 1995… Mais « on n’en est pas encore là , relativise Philippe Guiter. En 1995, on était sûrs de gagner, tout était bloqué ; aujourd’hui, l’atmosphère est un peu différente. »

D’autant que le service minimum est passé par là. Qui rend la colère moins visible mais de plus en plus vive. « C’est l’accumulation de trois ans d’injustices qui s’exprime aujourd’hui. Les salaires trop bas, le travail qui nous épuise du fait des non-renouvellements de postes : on sait qu’on ne pourra pas tenir longtemps à ce rythme. En fait, c’est le monde du travail tout entier qui résiste aujourd’hui contre le pouvoir » , analyse Arnaud, un aiguilleur de 25 ans. « Le gouvernement sait que, s’il commence à faiblir, tout le monde va s’engouffrer dans la brèche, mais je suis convaincu que Sarkozy devra plier. » À moins qu’il ne finisse par rompre.

Publié dans le dossier
Crise sociale : à force de mépris
Temps de lecture : 3 minutes