À l’école de la démocratie

Les jeunes se veulent unis, « tous ensemble ». Pour autant, le mouvement révèle aussi les aléas de la formation à l’engagement.

Noëlle Guillon  • 4 novembre 2010 abonné·es

Ils étaient des milliers dans les rues jeudi 28 octobre selon l’Unef. Derrière l’enthousiasme, la réalité des chiffres, 8 000 à Paris pour cette septième journée d’action, contre près de 35 000 le 19 octobre, selon le même syndicat. Effet vacances, essoufflement ? Alors que l’avenir du mouvement est incertain, la démocratie fait ses classes dans les assemblées générales. Jeudi matin, 10 h. À Paris-VIII, sur le site de Saint-Denis, se tient l’une des cinq assemblées générales organisées en France dans les universités. Les divergences s’y expriment, malgré la fermeté de la tribune à canaliser le débat. Alors que les organisations étudiantes, aussi bien que lycéennes, répètent inlassablement dans les cortèges que les jeunes se mobilisent spécifiquement autour de la question des retraites, le ton déborde volontiers dans les amphithéâtres. Raphaël, étudiant en sciences politiques, parle d’une chaîne à briser. « Les retraites ne sont que la partie visible de l’iceberg. Il faut lutter contre une société de répression et de force. »

Dans les cortèges, les syndicats de jeunesse se félicitent de la « conscientisation politique des jeunes ». « Nous avons eu 30 adhésions par jour pendant le mouvement » , rappelle Juliane Charton, trésorière de l’UNL, un des syndicats lycéens. Pour la sociologue Évelyne Perrin, « les jeunes se sont en effet politisés, mais sous des formes multiples. Bien conscients d’être marginalisés par un pouvoir qui n’a même plus de vernis démocratique à leurs yeux, certains se sont engagés dans des mouvements autonomes » . Il restera de cette lutte, selon elle, « une sympathie plus grande pour les syndicats, qui ne se traduira pas forcément par des adhésions réellement massives. Cependant, comme lors des mouvements précédents, CPE, LRU, il y a bien une accumulation de l’expérience de socialisation politique » .

Ilidio Beiroto est un ancien militant Unef et coordinateur de la branche jeune de Pour la République sociale [^2] lors du mouvement contre la loi sur l’égalité des chances (LEC). Il dresse un bilan mitigé du militantisme jeune.

« Tous se réfèrent maintenant au CPE. Mais le CPE n’a pas été une si grande victoire, au vu de la mobilisation. La LEC n’a pas été retirée et si le CPE l’a été, les conditions de travail n’ont fait que se détériorer depuis. Le mouvement n’a pas compris qu’il s’agissait d’une manipulation pour déstabiliser Villepin. On a en fait ouvert un boulevard à Sarkozy. Les syndicats étudiants avaient néanmoins besoin de cette “victoire”, qui a alors conditionné l’environnement culturel actuel, devenant un symbole.»

Il se montre très réservé quant à la capacité des syndicats à assurer la formation démocratique. « Les nettoyages politiques dans le syndicat dominant lui ont fait perdre sa capacité d’éducation populaire. Il n’y a plus de rassemblement des forces au-delà des chapelles, qui permettrait d’apprendre à mener des batailles communes. »

Cette déception s’entend dans les AG. À Paris-VIII, Auguste parle de « propagande sans arguments, de discours rodés » . Certains proposent une journée de débat dans la ville, films à l’appui. Johnny laisse éclater sa colère. « Moi je vais certainement prendre 20 mois de prison pour les manifs. Vous êtes ici comme des communiants. Si vous voulez vraiment être solidaires, venez chacun faire 20 minutes en taule, plutôt que parler 2 minutes ici. » Difficile démocratie. « Le vote de blocages dans des AG à 300, on ne va pas dire que c’est la démocratie » , assène Ludo. « On nous demande de venir ici, mais il faut se demander : “Pourquoi, moi, je suis là ?” » .

[^2]: Association politique autrefois présidée par Jean-Luc Mélenchon, aujourd’hui dissoute dans le Parti de gauche.

Temps de lecture : 3 minutes