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Le budget de la Sécurité sociale pour 2011 conduit à un transfert de charge vers les patients. Et porte un coup supplémentaire à l’assurance-maladie.

Pauline Graulle  • 4 novembre 2010 abonné·es

Mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade. L’antienne est connue, mais prend un peu plus de relief chaque automne, au moment où le Parlement vote le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Temporairement éclipsé de la scène médiatique par la mobilisation contre la réforme des retraites, le projet pour l’année 2011 concocté par François Baroin, ministre du Budget, et voté mardi à l’Assemblée nationale, devrait pourtant raviver l’inquiétude des défenseurs d’une protection sociale née du Conseil national de la résistance. Car, cette année encore, une funeste cure d’amaigrissement attend la Sécu. Qui pénalisera financièrement les patients – dont 23 % ont déjà renoncé à se soigner en 2010 faute de moyens [^2] –, et profitera in fine au secteur privé.

Comme le gouvernement s’était fait le chevalier blanc du régime de retraites par répartition tout en préparant en douce la capitalisation, l’argument avancé est, là encore de « contenir » le déficit à 21,4 milliards d’euros, toutes branches comprises. « Le gouvernement donne des objectifs irréalistes alors que, malgré ce qu’il dit, il n’y a pas d’explosion, mais au contraire un ralentissement des dépenses de santé depuis dix ans » , rappelle Frédéric Pierru [^3], chargé de recherche au CNRS.

Mais qu’importe le diagnostic, la prescription est toujours la même : ne jamais augmenter les recettes ni s’attaquer aux dépassements d’honoraires, qui ont triplé en quinze ans chez les médecins libéraux – un électorat à chouchouter. Au lieu de cela, en 2011, les 2,4 milliards d’euros économisés sur la branche maladie seront directement ponctionnés… dans la poche des patients eux-mêmes.

Des malades appauvris par la crise économique, qui ont déjà payé en 2010 le relèvement du forfait hospitalier de 16 à 18 euros, qui se sont acquittés en 2009 du paiement de 50 centimes sur chaque boîte de médicaments… De PLFSS en PLFSS, de franchises en ticket modérateur, « l’assurance-maladie ne rembourse désormais plus guère qu’un euro sur deux pour les soins courants » , observe Frédéric Pierru. « Chaque année, par petites touches, le reste à charge est plus élevé pour les assurés , confirme Martine Billard, député du Parti de gauche et membre de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, François Baroin ne s’en cache pas : il a estimé que, bientôt, le régime obligatoire ne concernerait que les personnes atteintes de maladies graves ! »

En attendant, la note sera toujours plus salée pour la grande majorité des patients. À partir du mois de janvier, les médicaments à vignette bleue, jusqu’alors remboursés à 35 %, ne le seront plus qu’à 30 %. Le plafond de la participation des patients hospitalisés passera de 91 euros à 120 euros. Enfin – et c’est une première –, les patients atteints d’affections longue durée, les fameuses « ALD », mettront eux aussi la main au porte-monnaie : les malades d’hypertension artérielle sans complication n’auront plus droit à une couverture à 100 %, les diabétiques paieront leurs tests d’urine et, pour tous, les frais de transport de la maison à l’hôpital ne seront plus systématiquement remboursés. « Le nombre de transports a augmenté parce que l’hôpital réduit la durée d’hospitalisation, qui coûte trop cher. Or, maintenant, on le fait payer aux patients ! » , s’insurge Martine Billard.

À l’hôpital aussi, l’heure est aux restrictions drastiques. Jacqueline Fraysse, député PC elle aussi membre de la Commission des affaires sociales, ne décolère pas : « Le gouvernement a prévu un objectif de dépenses pour l’hôpital qui ne couvre même pas la progression naturelle des salaires ou l’augmentation des tarifs d’électricité. La majorité met donc délibérément l’hôpital en déficit ! » « Cela va se traduire par des réductions de postes et un ralentissement de l’activité qui va profiter aux cliniques privées » , poursuit André Grimaldi, diabétologue à la Pitié-Salpêtrière et porte-parole du Mouvement de défense de l’hôpital public. « Le gouvernement veut faire des économies de court terme, ajoute le médecin, mais à long terme on sait que des pathologies mal soignées coûtent plus cher à tout le monde. Cela démontre en filigrane que le but du gouvernement n’est pas de diminuer les coûts de santé mais d’augmenter les coûts privés en baissant les coûts publics ! »

Un transfert de charge du public vers le privé, synonyme d’une privatisation du système de soins, et qui n’est évidemment pas indolore pour les malades. « Du fait des désengagements successifs de la Sécu, plus personne ne peut désormais se soigner sans mutuelle ou assurance privée » , constate ainsi Jacqueline Fraysse. Or, si près de 20 % des personnes les plus pauvres ne peuvent actuellement s’offrir le « luxe » de souscrire à une complémentaire santé (voir ci-contre), demain ce sera pire. Les complémentaires, qui ont déjà vu leurs tarifs s’envoler depuis huit ans, sont ainsi condamnées à les augmenter en proportion des déremboursements de plus en plus nombreux dans les années à venir.

Pour la seule année 2011, les mutuelles (pourtant à but non lucratif) ont ainsi averti qu’une hausse des cotisations pour leurs adhérents était inévitable : « Les charges augmentant, on estime que les cotisations vont elles aussi augmenter en moyenne de 4 à 10 % si on veut rester à l’équilibre » , plaide Jean-Martin Cohen Solal, directeur général de la Mutualité française, qui s’alarme de « cette mécanique qui conduit à des d’augmentations tous azimuts » . Et d’appeler d’urgence à un débat « public et démocratique pour demander aux Français combien ils veulent payer pour leur santé » .

Ce débat aura-t-il lieu dans les deux ans à venir ? Cela semble franchement improbable. « Si elle était annoncée comme telle, cette politique mise en place depuis 2002 consistant à faire refluer le champ de la solidarité pour le vendre aux marchés serait trop impopulaire » , estime Frédéric Pierru. Reste que la « machine à dérembourser » suffit à la casse insidieuse de la solidarité nationale. « Combien de temps les jeunes actifs vont-ils accepter de payer pour une Sécurité sociale dont ils voient de moins en moins la couleur ?, ajoute le chercheur. Il suffit de ça pour que le système s’écroule de lui-même. »

Comme celui qui veut noyer son chien l’accuse de la rage, « la première étape du projet gouvernemental consiste à vider la Sécu de sa mission de remboursement des soins afin que les Français ne veuillent plus de ce système , explique André Grimaldi. Puis il suffira de la mettre en concurrence avec le secteur privé : c’ est ce que Jean-François Copé a dans la tête puisqu’il appelait récemment à en finir avec le “monopole” de la Sécurité sociale. Enfin, les assurances privées européennes pourront venir chercher des marchés en France. Sans nous en apercevoir, nous changeons de système pour aller vers le système américain dont Obama a reconnu et l’inefficacité et l’injustice » . Un avenir radieux !

[^2]: Baromètre européen Cercle santé-Europ Assistance.

[^3]: Auteur d’Hippocrate, malade de ses réformes, éditions Du Croquant, 2007.

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